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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 octobre [1845], samedi soir, 6 h. ½

Je suis très heureuse, mon bien-aimé, je vais te voir. Je ne veux pas diminuer en rien mon bonheur en pensant que peut-être tu t’en iras dès que tu auras dînéa. Je veux au contraire me faire illusion et tâcher d’espérer que tu passeras la nuit avec moi. Ce serait vraiment bien le moment, car mon lit est vierge de puces et moi je suis propre comme un sou propre, car depuis ce matin je travaille à mon nettoyageb de personne et de maison. Quant à cette dernière, elle ne sera vraiment propre que lorsque les tapissiers auront posé les tapis. Tu serais donc dix mille milliards de fois gentil de venir ce soir ÉTRENNER mon lit et mon BAIN. Malheureusement, je n’ose pas l’espérer, quoiqu’en y mettant la meilleure volonté du monde. Je sais trop depuis longtemps combien tu es avare de ce genre de surprise pour me prêter à la fiction de t’avoir cette nuit. Enfin je suis presque sûre de t’avoir tout à l’heure, c’est déjà beaucoup et je m’en contente faute de mieux.
J’attends ma péronnelle. Elle a dû aller chez son père ce soir. S’il faut qu’elle ne l’ait pas encore trouvé, elle sera fort triste, la pauvre enfant. Sa dernière lettre est empreinte d’un véritable chagrin. J’avais presque eu envie de l’envoyer à son stupide père. Mais j’ai pensé que cela ne servirait à rien et je ne t’en ai même pas parlé. Rien n’est plus douloureux que de sentir son enfant souffrir du cœur sans pouvoir y porter remède. Je le sens plus que je n’ose te le dire, car je ne veux pas te tourmenter pour des peines qui m’appartiennent en propre et auxquellesc tu ne peux rien. Cher adoré, cher bien-aimé, quelle différence de ce hideux et stupide homme à toi si grand, si beau, si noble, si doux et si généreux. Je ne comprends pas même que sachant que tu connais sa conduite, il ose l’avoir et se présenter chez toi et réclamer des services de toi. Vraiment, cela me passe et je trouverai que c’est le comble du cynisme si ce n’était encore plus le comble de la stupidité mêlée à l’avarice et à l’égoïsme féroce. Pardon, mon Victor, de te parler d’un homme si au-dessous de toi, mais j’ai le cœur plein d’amertume quand je pense à ma fille, ce qui fait que je me suis laissée aller à te dire toutes ces choses étrangères à notre amour. Je t’aime mon Victor. Je baise tes pieds parce que tu es mon divin petit Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 33-34
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu auras dîner ».
b) « mon nettoyage ».
c) « auquelles ».

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