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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er août 1842

1er août [1842], lundi soir, [8 h.  ?]

Croirais-tu, mon pauvre bien-aimé, que je n’avais pas encore eu le temps de t’écrire depuis ce matin ? Certes ce n’est pas faute de ne pas penser à toi et de t’aimer de toute mon âme, mais il y avait aujourd’hui encombrement d’ennuis et d’occupations. Parmi les premiers tu peux compter celui le plus long et le plus hideux dont tu as été témoin un moment tantôt. Ensuite pour les secondes : la blanchisseuse, les comptes de fin de mois etc., etc. Bref, je viens de terminer tous ces arias [1] seulement à présent. Je n’ai pas voulu remettre mes comptes parce que je me connais et je sais, l’époque unea fois passée, combien il me serait difficile d’avoir le courage de m’y mettre. Ce n’est pas pour rien que j’ai ces hideux comptes en horreur car je suis toujours trois ou quatre heures dessus sans pouvoir en venir à bout. Tout à l’heure j’avais un déficit de près de deux cent francs !!! C’est-à-dire plus d’argent que je n’en avais reçu. À chaque fois, je me tournais en chien et je donnais tous ces chiffres au diable pour savoir ce que cela pouvait dire lorsque je me suis souvenue de 186 F. de loyers. Comme je me suis souvenue l’autre foisb au bout de deux heures de 100 F. mis de côté pour la pension de Claire. Enfin, grâce à Dieu, j’ai plus que mon compte et il n’aurait tenu qu’à moi de mettre dix francs dans ma poche et en vérité, pour tout le mal que vous me donnez ça n’aurait pas été de l’agent volé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 1-2
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « une une ».
b) « autrefois ».


1er août [1842], lundi soir, 8 h. ¾

Ma pendule avance, mon amour, mais c’est égal, je n’en suis pas moins en retard et cependant je ne me suis pas arrêtée une minute depuis que je suis levée, car je n’appelle pas me reposer tout le temps que ce monstre de merlan [2] me houspille les crins. Je vous ai raconté tout à l’heure une partie de mes infortunes de Pierrot [3], et pourtant je ne vous ai pas dit la plus atroce. Celle qui me tient le plus au cœur et que j’aurai grand peine à avaler, c’est de n’avoir pas pu profiter de votre AIMABLE INVITATION [4]. D’y penser j’en ai la rage dans le cœur. Je crois vraiment que vous le faites exprès. Non content de ne me faire jamais sortir vous venez me retourner une espèce d’occasion dans le cœur que vous ne m’auriez pas si bien offerte si j’avais pu en profiter. Avouez-le, brigand. Hum, si je tenais votre perruque [5] dans ma main dans ce moment-ci je lui en ferais voir de cruelles. Taisez-vous, vieux goutteuxa, vous n’avez pas la parole. Vous êtes un vilain monstre que j’aime et que j’adore pour mon malheur. Vous êtes bien revenu n’est ce pas ? Voime, voime, fort spirituel et digne d’un homme qui a une aussi belle perruque. Taisez vous ou je vous embrasse.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 3-4
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « gouteux ».

Notes

[1Arias : Embarras, tracas, occupations.

[2Merlan (argot) : coiffeur, perruquier.

[3 Les vingt-six infortunes de Pierrot est une pantomime de Deburau créée au Théâtre des Funambules en 1833, à laquelle Juliette fera de nouveau référence dans une lettre de 1854.

[4Le 3 août, Victor Hugo se rend au service funèbre du prince Ferdinand-Philippe d’Orléans. Il semble que cela soit à cette invitation à laquelle Juliette fasse ici référence.

[5La perruque d’académicien de Victor Hugo est source de nombreuses menaces et plaisanteries dans le couple et Juliette y fait très souvent référence.

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