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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 juillet [1842], lundi matin, 9 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour comment vas-tu, comment va ton cher petit garçon ? Pourquoi n’es-tu pas venu boire ton bon vin à la maison ? Tu sais pourtant la joie que tu m’aurais faite. Tu n’es pas gentil mon Toto, il est vrai que je le suis encore moins moi et qu’avec un peu de bonne volonté je pourrais passer pour hideuse mais je vous aime, moi, voilà ma beauté. Je vous aime comme le premier jour tandis que vous on ne sait plus ce que c’est que votre amour. C’est du vin de colchique, ce sont des manadies, un tas de frimes et de prétextes pour ne pas venir déjeuner avec votre pauvre petite vieille chichi. Taisez-vous monstre d’homme, Quasimodo retourné. Vous êtes aussi laid au-dedans que vous êtes beau au-dehors, c’est lâche. Je ne suis pas contente, allez, vous pouvez vous en flatter. Hélas, mon Dieu, plaisanterie à part, je suis horriblement triste et découragée. Voici qu’on crie sous mes croisées le détail exact de la [cérémonie ?] qui va avoir lieu le 3 août. Encore un sujet de tourment et de jalousie pour moi car pendant que tu feras la roue au milieu de dix mille femelles occupées à t’admirer dans ta majesté, moi je serai seule et oubliée dans mon coin comme toujours. En vérité, j’étais mille fois folle quand j’ai accepté ce supplicea de tous les instants. C’est-à-dire que je t’aimais comme je t’aime encore et que je recommencerais, si c’était à refaire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 285-286
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

a) « suplice ».


25 juillet [1842], lundi après-midi, 3 h.

Décidément mon merlan [1] n’est pas empaillé. Il est revenu sur l’eau comme tu pourras en juger d’après mon affreuse perruque. Mais vous, mon adoré, qu’est-ce qui vous arrive, que vous ne venez pas ? C’est tous les jours la même chose et ça n’est pas plus drôle un jour que l’autre. Je mène une vie tissée d’embêtements et de mystifications. Je voudrais bien en varier les fils et les ficelles avec votre permission, mon seigneur, car c’est diablement monotone. Pour me récréer un peu la vue et l’imagination j’ai inventé une espèce de château branlant sur mon petit meuble couronné non d’un avortement comme la célèbre [Lesseps  ?] mais de votre buste. Je ne sais pas si vous trouverez cet arrangement de votre goût mais moi je le trouve ravissant. Ce qui l’est moins c’est mon écriture. J’ai une hideuse plume qui ressemble beaucoup trop au plumeau du père AUBRY [2] F...a avec laquelle il m’est impossible d’écrire ni d’avoir d’Esprit exactement comme le susdit Aubry. C’est tout au plus si je pourrais gribouiller combien je vous désire, combien je voudrais baiser vos petites pattes et combien je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 287-288
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

a) les points courent jusqu’au bout de la ligne.

Notes

[1Merlan (argot) : coiffeur.

[2Prêtre dans Atala de Chateaubriand.

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