24 juillet [1845], jeudi matin, 9 h. ¼
Bonjour, mon Toto ravissant, bonjour, mon cher amour bien-aimé, bonjour, comment vas-tu ? J’espère que ta douleur aura fini par s’en aller tout à fait. Le temps, quoique couvert, est chaud, ce qui convient beaucoup à ce genre d’indisposition. Je voudrais que tu ne souffres plus et que tu puissesa venir me voir avant que j’aille à la pension [1] ou tout au moins que tu viennes au-devant de moi. Je le désire sans l’espérer parce que je sais que tu travailles et que tu ne peux guère venir auprès de moi. J’irai donc et je reviendrai seule chez ma péronnelle. Je prendrai sous les arbres s’il ne pleut pas et par la barrière s’il fait mauvais temps. Je t’écris tout cela comme si cela pouvait te servir d’indication absolument comme les avis qui invitent les personnes qui savent lire à suivre tel chemin. Moi je te donne des renseignements que tu liras douze heures après que la chose sera passée. C’est le genre naïf dans toute sa stupidité. Cela tient à ce que je crois toujours que je te parle en personne quand je t’écris. Je n’ai pas le genre épistolaire, on s’en aperçoit du reste, et je ne pourrais pas collaborer à aucun steeple-chase quand même j’aurais l’envie. C’est un malheur, mais qu’y faire ? Je ne sais qu’une chose, vous aimer. À ce jeu-là je défie l’univers entier de me dépasser. Le reste m’est égal comme deux œufs. Je n’ai pas le plus petit amour-propre, pourvu que tu m’aimes un peu, c’est-à-dire de tout ton cœur, mon ambition est satisfaite. Je ne suis pas plus modeste que cela. Baisez-moi, mon Victor chéri, je vous aime, je vous adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 69-70
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tu puisse ».