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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 juin 1845

18 juin [1845], mercredi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon cher petit bêta, bonjour, vous qui prenez plaisir à la littérature de Mlle Flore [1], bonjour, toi que j’aime malgré tes goûts dépravés, bonjour, comment que ça va ce matin ? Comment va ton pauvre petit pied ? Voilà un temps qui ne doit pas lui être favorable. Je voudrais connaître un remède qui te soulageâta tout de suite. Je te le porterais à l’instant même au risque de me compromettre vis-à-vis M. Étienne. C’est que je sais ce que c’est que de souffrir des pieds. Aussi je te plains de toutes mes forces, ce qui ne t’empêche pas de souffrir malheureusement.
Je ne sais pas si j’irai acheter mes robes aujourd’hui. Voilà un temps peu engageant. Ma coquetterie ne va pas jusqu’à me faire mouiller jusqu’aux os. J’attendrai très bien jusqu’à demain et même à plus longtemps s’il le faut. Cela donnera le temps à vos GÉNÉROSITÉS d’arriver. N’ayez pas peur, je ne vous les renverrai pas, vous pouvez y compter. L’expérience de Mlle Flore me servira. Fi, la vilaine. Je ne peux pas y penser sans dégoût. J’aime mieux regarder les petits pierrots qui viennent manger mon pain effrontément sur ma croisée. Ceux-là n’y mettent pas de délicatesse. Ils prennent et ils gardent tout, absolument comme moi. Tiens, ça n’est déjà pas si bête. Voilà mon jardinier. Je ne l’attendais pas aussi matin. Malgré qu’il ait un rosier magnifique, je ne vous quitterai pas pour lui avant de vous avoir dit que vous êtes mon bijou bien-aimé et bien adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 311-312
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « te soulagea ».


18 juin [1845], mercredi soir, 10 h. ¾

Mon pauvre bien-aimé, je ne te verrai donc pas ce soir grâce à ton pauvre pied malade. Ainsi tout est contre moi. Tantôt ce sont les affaires, tantôt ce sont les bobos. Je ne te suis bonne à rien si ce n’est à te faire travailler le jour et la nuit. Mon pauvre adoré bien-aimé, c’est profondément triste et profondément décourageant. Autrefois tu serais venu m’apporter ton cher petit pied à soigner. Tu serais resté trois ou quatre heures sur mon lit, le temps d’apaisera avec un petit cataplasme cette grande inflammation locale. Aujourd’hui tu fais profiter de tes petites indispositions à d’autre qu’à moi. Je ne te vois plus ni pour la peine, ni pour le plaisir. Tu m’éloignes de plus en plus de toi. Je le vois et j’en suis sérieusement blessée et triste. Je sais bien que ce n’est pas Mme Triger et son fils qui t’ont empêché de venir ce soir. D’ailleursb, autrefois rien ne t’empêchait de venir auprès de moi. C’est qu’autrefois tu m’aimais tandis que maintenant.......c Hélas ! je ne veux pas m’avouer la triste vérité. Je tâche de prendre pour de l’amour ce qui n’est que générosité et noblesse de cœur, bonté et dévouement de ta part. Mais au fond de cette illusion que je m’impose, la triste vérité m’apparaît toujours. Pourvu que tu aies pris soin de ton pied encore. Pourvu que tu sois guéri demain. Je ne sais pas pourquoi je n’ai pas de confiance en ta médecine, tu es un peu bourreau de ton corps. Je ne suis rien moins que tranquille sur ton pauvre pied. À sa place, j’aurais exigé que ce fût ma vieille Juju qui me le soignâtd. Voilà ce que c’est aussi que de ne pas parler. Faute de parler .... etc. Dabat a apporté ce soir une jolie petite paire de souliers noirs. Je ne l’ai pas payé et pour cause. Tu le devines de reste. Et tu devines aussi, sans être sorcier, que je t’aime et que je suis triste et inquiète de te savoir souffrant loin de moi. Je t’aime trop, mon Victor.

BnF, Mss, NAF 16359, f. 313-314
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « appaiser ».
b) « d’ailleur ».
c) Sept points de suspension.
d) « qui me le soigna ».

Notes

[1Victor Hugo lit alors les Mémoires de Mlle Flore en trois volumes, publié en 1845, écrit par Dumersan et Gabriel, récit d’anecdotes et d’histoires plus ou moins fantaisistes sur la vie de la comédienne.

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