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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 avril [1845], samedi matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon bien-aimé, bonjour, mon Victor adoré. Je vous tends mes deux joues toutes fraîches lavées, car je sors du bain. Il y avait plus d’un mois que je n’en avais pris. Aussi ce matin de très bonne heure, je me suis plongée dans les ondes. Je voudrais bien que cette immersion pût m’enlever cette somnolence épaisse qui m’empêche de profiter à mon aise du moment que tu me donnes dans la nuit. Je suis furieuse contre moi et cependant ce n’est pas de ma faute. Il me semble que je vais me trouver mal tant mon cœur est affadi. Je ne sais pas à quoi cela tient, mais c’est fort ridicule et fort gênant. Si je connaissais un remède à ce stupide mal, je l’emploierais tout de suite. En attendant, je suis vexée, vexée et très vexée.
À propos, mon amour, tu auras probablement emporté ta brosse à dentsa neuve, car je ne la vois pas et je l’avais mise sur la table ?
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, bonjour, vous, bonjour, toi. J’aurais voulu envoyer chercher Le Moniteur ce matin, mais je sais par expérience que ces hideux bons hommes ne sont pas très alertes dans leur machine [1]. Aussi je t’attends pour savoir ce qu’ilb en est. Je serai bien contente le jour où ce sera fini parce que tu le seras toi-même. D’ici là, je te baise tendrement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 45-46
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « brosse à dent ».
b) « ce qui ».


12 avril [1845], samedi après-midi, 4 h. ¼

C’est déjà passé le bonheur de vous voir, mon adoré, c’est bien bon et bien court. Cela me fait l’effet d’une gaufrea prise après un jeûne forcé de quarante-huit heures. Cependant cela vaut mieux que rien. Si cela ne rassasie pas, cela peut empêcher de mourir, ce qui est quelque chose.
J’espère que tu viendras ce soir avant ton dîner, sans cela je crierais de toutes mes forces à la garde et au voleur. N’est-ce pas que tu viendras, mon Toto ? N’est-ce pas que je peux m’en réjouir d’avance sans craindre de remplacer ce petit moment de joie futur par une effroyable tristesse ? On est allé chercher Clairette. Le temps est bien grimaud et bien froid. Il est probable même que quelque atroce giboulée lui crèvera sur la bosse. Elle ne sort pas une seule fois. Sans cela aussi, elle y est toujours préparée. Quant à toi, mon amour, je t’ai vu avec un parapluie sous le bras, mais ce n’est pas une raison, car tu le gardes assez souvent soigneusement plié sous ton bras pendant que les torrents d’eau te pleuvent sur la tête. Je serais plus tranquille si je te tenais au coin de mon feu et la plus heureuse des femmes si je pouvais te garder une soirée toute entière (autrefois j’aurais dit une nuit). Autre temps, autre Toto. Mais celui-ci n’est pas le meilleur à mon goût. J’aimais mieux l’autre, le Toto des anciens jours. Enfin je n’ai pas le choix. Il faut bien que je me contente de ce qu’on veut bien me donner. J’ai perdu le droit d’être exigeante. Ça n’est pas gaib, mais c’est parfaitement désespérant. Baisez-moi, vilain Toto, et tâchez de m’aimer un peu pour voir si vous y reprendrez goût. Essayez-en, que diable, cela ne vous mordra pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 47-48
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « une gauffre ».
b) « gaie ».

Notes

[1Le Moniteur Universel, quotidien officiel du gouvernement. L’annonce de la nomination de Victor Hugo en tant que pair de France sera publiée dans le numéro 107 daté du jeudi 17 avril 1845.

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