Bruxelles, 17 décembre 1851, mercredi après-midi, 1 h.
Cher adoré, je te consacre la première feuille de papier blanc que je touche. Je veux que le premier mot que j’écris dans ce pays hospitalier soit un mot d’amour à ton adresse. C’est bien le moins que je puisse faire, puisque toutes mes pensées, toute ma vie, tout mon cœur et toute mon âme passent à travers toi avant d’arriver aux choses de ce monde et de revenir à moi. C’est donc bien vrai que tu es sauvé, mon pauvre adoré, c’est donc bien vrai que tu m’aimes et que tu daignes t’appuyer sur mon cœur, dans les passages difficiles de la vie, avec la confiance qu’il te portera tout entier, sans se lasser, à travers les plus terribles événements ? C’est donc bien vrai que je suis une femme heureuse et bénie et que j’ai le droit de vivre en plein soleil de l’amour et du dévouement ?
Merci, mon Dieu, de tous les biens, de toutes les joies, de toutes les grâces, et de tous les bonheurs dont vous me comblez aujourd’hui dans la personne vénérée et adorée de mon sublime bien-aimé.
Tous mes efforts tendront à les mériter de plus en plus, toute ma reconnaissance est à vous, ô mon Dieu.
Juliette
Collection particulière
[Guimbaud, Souchon, Massin]
Bruxelles, 17 décembre 1851, mercredi après-midi, 3 h. ¼
Ne te préoccupe pas de moi, mon pauvre bien aimé, car je ne t’aime jamais mieux et avec plus de sécurité que lorsque je te sais occupé de tes devoirs de famille et du soin d’assurer la tranquillité et le bonheur de ta femme et de tes enfants. Consacre-toi tout entier à ta courageuse et digne femme tout le temps de son séjour ici [1]. Ne lui épargne aucune des distractions qui peuvent la reposer des cruelles épreuves qu’elle vient de supporter. Fais de ma résignation et de mon courage, de ma délicatesse et de mon dévouement une sorte de literie douce et molle qui lui adoucisse les aspérités du chemin tout le temps qu’elle passera avec toi. Donne-lui toutes les consolations et toutes les joies que tu pourras. Prodigue lui tous les respects et toutes les affections qu’elle mérite et ne crains pas, jamais, de voir le bout de ma confiance et de ma patience.
Cher adoré te voici, sois béni.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16369, f. 470-471
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Blewer]