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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 juillet [1844], lundi matin, 11 h. ¼

Bonjour, mon cher bien-aimé adoré, bonjour, mon doux, mon ineffablea et ravissant petit Toto ; bonjour, bonjour, comment vas-tu ? Es-tu moins triste et moins douloureusement préoccupéb qu’hier, mon pauvre adoré ? Hélas ! Cela n’est pas probable. Tes regrets et ton chagrin ne sont pas de ceux que le temps absorbe. Tu as la douloureuse faculté de sentir tout plus vivement que les autres hommes. Le génie n’est pas seulement dans la tête, il est surtout dans le cœur. Mon pauvre adoré bien aimé, je t’aime, je souffre quand tu souffres ; aie pitié de nous deux, je t’en supplie à genoux.
Ma Clairette est partie ce matin ; elle était beaucoup plus résignée que de coutume car elle a la perspective des trois jours de fête ou plutôtc de congé qui commenceront samedi prochain. Cette pauvre enfant nous aime bien. Son bonheur est d’être avec nous. Elle se plaint de ne pas te voir assez et je fais plus que de me joindre à elle pour cela. Il faudra que tu tâches de nous donner au moins une soirée sur les trois qu’elle passera à la maison. Je t’assure, mon adoré, que je ne suis pas très drôle quand je suis seule avec cette pauvre enfant. Je suis tellement absorbée dans mon amour que je ne trouve pas deux mots à lui dire dans toute une journée, quelque effort que je fasse pour cela.
J’ai copié les vers de Méry parce que je ne veux pas priver Mlle Dédé de son autographe. Je comprends qu’elle y tienne, et beaucoup, la pauvre petite bien-aimée, aussi je me fais un cas de conscience de le lui rendre. Seulement, et c’est à vous que je m’adresse pour cela, il faudra m’en donner autant qu’à elle. Il ne faut pas perdre les anciennes bonnes habitudes, mon adoré, cela porte malheur, j’en ai l’intime conviction. Aussi, il faut m’apporter toutes les lettres, comme autrefois, je te promets de partager en conscience avec la chère petite Dédé, et tu sais que je suis une femme à tenir ma promesse ? Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 285-286
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette
[Massin]

a) « inéffable ».
b) « préocupé ».
c) « plus tôt ».


22 juillet [1844], lundi soir, 7 h.

Je viens seulement de pouvoir ouvrir mes fenêtres à présent, mon pauvre bien-aimé ; ainsi, toute la journée j’ai été enfermée et calfeutrée sans lumière et sans air. J’attribue mon mal de tête à ce régime de four de campagne. Je n’en peux plus, je t’assure. Pour comble du malheur, si tu ne viens pas de bonne heure ce soir, il est probable que je m’endormirai sans pouvoir m’en empêcher. Pense que depuis quatre jours, je suis réveillée tous les matins de cinq à six heures. Et quel réveil ! Je ne sais pas si tu avais sérieusement l’intention de me faire sortir tantôt ? Mais, dans tous les cas, je te donne quittance de ta bonne volonté les yeux fermés. Tant pis pour ta conscience si tu n’es pas sincère dans tes offres.
J’ai vu mon propriétaire tout à l’heure à l’occasion de ces volets, ils sont beaucoup trop courts ? Mais comme c’est l’obligeance même que mon propriétaire, et qu’il faut d’ailleurs qu’il les vende à un brocanteur, il verra, chemin-faisant, s’il peut les changer contre des volets de mesure. Voilà, mon amour, ce qui a été convenu entre lui et moi.
J’ai eu aussi la visite de la pénaillon. Elle venait m’offrir une MAGNIFIQUE OCCASION que j’ai refusée avec un plus magnifique désintéressement encore : un bracelet que Froment-Meurice [1] offre de reprendre pour 110 F. et qu’on me laisse, à moi, pour 130 F., 80 d’or au poids, etc. etc. etc. J’ai refusé comme l’aurait pu faire la plus antique romaine. Voilla comme je suis, moi, c’est ma VOLLONTÉ de mépriser les bijoux. J’aime mieux un baiser de vous que tous les bracelets de l’univers. C’est [illis.] comme ça. Taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 287-288
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Froment-Meurice est le demi-frère de Paul Meurice et orfèvre célèbre.

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