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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 février [1844], dimanche matin, 10 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon Toto chéri, bonjour mon ravissant petit homme, bonjour je vous aime. Et vous ? Comment que ça va ce matin ? Avez-vous bien fait le juif errant [1] toute la nuit ? Pauvre adoré, je me reproche mon sommeil quand je pense que tu travailles pendant ce temps-là pour moi. Je suis tentée bien des fois de me lever pour veiller avec toi, fût-cea inutilement, mais pour ne pas prendre un repos que tu te refusesb. Ma seule crainte serait de t’inquiéter dans le cas où par impossible, tu reviendrais dans la nuit chez moi. Vraiment, mon cher adoré, je suis triste et honteuse de mon inutilité. Je te demande de m’employerc à quelque chose qui me laisse accepter sans scrupule et sans remordsd tout ce que tu fais pour moi. En attendant, je suis bêtement dans mon lit occupéee à expectorer le plus absurde rhume qui se soit jamais logé dans une poitrine et dans un nez de femme.
Je suis abasourdie à force d’éternuer sans parler des affreux cris que font mes deux monstres verts [2]. Je n’ai jamais entendu un plus monstrueux charivari. Je regrette que le rhume de cerveau ne vous rende pas sourde comme il me bouche le nez. Cela me rendrait un grand service dans ce moment-ci.
Tu devrais bien venir, mon Toto, faire diversion à cet effroyable tapage. Cela me donnerait le bonheur de vous voir, ce qui n’est pas à dédaigner dans aucun cas. Pauvre adoré, je donnerais bien des jours de ma vie pour quelques minutes de la tienne. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 217-218
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « fusse ».
b) « refuse ».
c) « m’emploier ».
d) « remord ».
e) « occupé ».


25 février [1844], dimanche soir, 5 h. ½

Je ne sais pas si vous vous doutez que vous ne m’avez pas donné encore ma pauvre petite goutte de bonheur mais moi je m’en aperçois que de reste à mon impatience et à ma tristesse.
Est-ce que tu auras travaillé toute la journée sans sortir, mon bien-aimé ? Si cela est, je te pardonne et je te plains. Mais si au contraire tu as été faire des visites à n’importe qui, je serai très fâchée contre toi et j’aurai bien du chagrin car alors il ne t’en aurait pas beaucoup coûté de monter jusque chez moi. Je ne veux pas me laisser aller à cette idée-là d’avance parce que cela me fait trop de mal et que je crains d’être injuste.
Il paraît certain, à présent, que Mme Triger ne viendra pas aujourd’hui. L’ennui de cela, c’est que j’ai dû, dans le doute, acheter un peu plus de fricassée. À tout prendre cependant c’est une médiocre contrariété et je serais très disposée à l’oublier si vous veniez seulement à présent. Hélas ! C’est peu probable, vous ne viendrez pas avant 7 h. ¼ comme c’est votre habitude depuis trop longtemps. Pour m’amuser je continue mon petit manège de moucherie, de tousserie, de larmoirie et toutes les giries [3] du plus tenace et du plus furibond rhume de cerveau qui se soit vu de mémoire de nez. J’en suis à mon avant dernier mouchoir cela promet pour jusqu’à mercredi et puis je vous aime, vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 219-220
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

Notes

[1Apparu au XIIIe siècle, le mythe du juif errant met en scène « un cordonnier juif […] condamné à l’errance perpétuelle pour avoir refusé un instant de repos au Christ portant la croix. Il parcourt donc le monde, son corps se renouvelle à chaque siècle, pareil aux cinq sous qu’il peut dépenser à la fois et qu’il retrouve toujours. » (Voir : http://www.universalis.fr/encyclopedie/mythe-du-juif-errant/).

[2Ses perruches.

[3Plaintes hypocrites, jérémiades ridicules.

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