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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 novembre [1843], jeudi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon Toto chéri. Comment que ça va ce matin ? Quant à moi j’ai les oreilles déchirées des cris de Jacquot. Il ne sait rien dire que le mot florida qu’il braille sur tous les tons. La pauvre Cocotte est toute interloquée. Je ne crois pas possible de garder les deux oiseaux ensemble. Jacquot surtout, on dirait qu’il est enragé. Ce matin il se jette sur les barreaux de sa cage avec fureur dès qu’on en approche, ce qui fait que je ne le mettrai pas en liberté aujourd’hui. Quel charivari grand Dieu ! Merci, j’en ai déjà assez. Malheureusement je ne sais à qui le donner. Il est trop méchant pour le donner à Dédé et je tiens plus que jamais à ma pauvre Cocotte. La comparaison lui a été favorable quoiqu’elle n’en eût pas besoin pour paraître ce qu’elle est douce et charmante de tous points. En voilà bien long sur mes deux oiseaux, mais ils font un tel bruit que j’ai ma pauvre tête en compotea.
J’enverrai aujourd’hui ou demain payer Dabat pour n’avoir plus à y penser. Après nous aurons à payer Mlle Féau et ce sera tout. Ça ne sera pas malheureux. Pauvre adoré cela ne t’empêchera pas de passer toutes les nuits à travailler. C’est affreux à penser. Mon adoré, mon adoré, je baise tes pieds, je voudrais mourir pour toi. Tâche de venir en passant si tu vas à l’Académie. Je serai heureuse de te voir un petit moment. Je ne demande pas à ce que tu me fasses sortir parce que je sens bien que tu ne le peux pas mais je te supplieb de venir me voir un tout petit moment. Cela me comblera de joie pour tout le reste de la journée. Ne me refuse pas cela mon Toto bien-aimé, je t’en supplieb.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 83-84
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « compotte ».
b) « suplie ».


23 novembre [1843], jeudi soir, 5 h. ¼

J’espérais que le beau temps, l’Académie, l’herbe tendre et quelque Juju aussi te tentant [1] tu viendrais un peu tantôt avant d’aller à ta boutique. J’avais compté sans mon AUTRE, comme tu vois, aussi je ne suis rien moins que gaie ce soir. Pourvu que tu viennes tout à l’heure. Il paraît que j’ai la rage de prendre mon papier à l’envers, peut-être est-ce une manière cabalistique de te faire venir. Si j’en étais sûre je ne ferais jamais autrement, s’il le fallait même je mettrais tout sensa dessus dessous et bien autre chose encore.
Du reste, mon Toto, je suis comme une folle et une énergumène à voir ces deux diables emplumés. C’est bien le cas de le dire cette fois que : le mieux est l’ennemi du bien. Depuis que j’ai ce Jacquot de supplément je ne sais à quel saint me vouer. Que le diable emporte mon beau-frère d’avoir eu la pensée de faire cette galanterie à sa nièce. Pour peu que cela continue comme tantôt il y aurait de quoi déserter la maison. Cependant je dois avouer que depuis le bon coup de baguette que je lui ai donné sur le dos, il est beaucoup plus calme. Mais c’est toujours fort triste ces moyens-là envers de pauvres bêtes qui n’en peuvent mais du caprice qui les font prisonnières eux qui sont faits pour vivre en liberté. D’ailleurs, cela me fait mal de le corriger ce pauvre oiseau, et s’il n’y a pas d’autre moyen de le dompter, j’aime mieux m’en priver.
[Est-ce que] mes lettres sont intéressantes ? Voime, voime, je vous permets de les illustrer comme celles de FEU LASSAILLE. Ce sera encore trop d’honneur pour ces informes gribouillages. Je t’adore mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 85-86
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « sans ».

Notes

[1Ainsi parle l’âne dans la fable de La Fontaine « Les Animaux malades de la peste » (VII, 1) : « J’ai souvenance / Qu’en un pré de Moines passant, / La faim, l’occasion, l’herbe tendre, et je pense / Quelque diable aussi me poussant, / Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. / Je n’en avais nul droit, puisqu’il faut parler net ».

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