Jeudi, 1 h. ½ après midi
[Avant le 18 juillet 1835 [1]]
Mon bon cher Toto, j’ai reçu bien malgré moi une visite à laquelle je ne m’attendais certainement pas. C’est Zoé, mon ex-femme de chambre qui est mariée maintenant et qui venait pour me demander de l’argent. Comme je n’en avais pas, je lui ai dit que je lui ferais savoir quand j’en aurais et je lui ai offert un billet pour Angelo. J’oubliais de te dire qu’au moment où elle entrait dans le bout de la rue, je regardais un marchand de fraises. L’ayant vue elle, je ne pouvais pas me dire hors de chez moi. Je pense que tu ne me sauras pas mauvais gré d’un hasard qui ne dépendait pas de moi. Mon cher petit homme, il ne faut pas nous créer des tracasseries inutiles, et il faut supporter le plus patiemment possible les inconvénients de notre position. Si tu savais comme je t’aime ; si tu savais combien je suis pénétrée de ce que tu fais pour moi, tu n’aurais aucune inquiétude ni aucune jalousie à mon sujet. Tu es bien charmant d’être venu ce matin. Tu devrais venir toujours, cela nous rend si heureux.
Je pense que notre petite escapade de tout à l’heure n’aura eu aucune suite fâcheuse pour ton mal de gorge. J’ai si peur que tu ne tombes malade que l’appréhension seule suffit pour me rendre très triste et très malheureuse.
Mon cher bien-aimé, mon amour, ma joie, mon Victor, ne sois pas malade, je t’en prie et aime-moi.
Juliette
On dirait que le temps se dessine.
BnF, Mss, NAF 16324, f. 176-177
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette