Lundi, 2 h. moins ¼ du matin
Voici près de deux heures que tu es parti, mon cher bien-aimé. J’ai passé tout ce temps-là à t’aimer comme jamais je ne l’avais encore fait. Je l’ai passé à pleurer le mal que je t’ai fait. Je l’ai passé à détester toutes les choses tristes qui ont eu lieu ce soir. Je l’ai passé à te demander pardon de la faute que j’ai commise aujourd’hui. Je l’ai passé à t’écrire sans pouvoir assembler deux idées qui ne soient pas l’amour et le désespoir, la vie et la mort. L’amour l’emporte enfin sur toutes les mauvaises pensées, sur toutes les pensées tristes et décourageantes. Je reste avec mon amour seulement, mon amour pour t’aimer et te rendre heureux, ma vie pour te la consacrer, mon courage pour souffrir toutes les souffrances que tu m’imposerasa, ma résignation en expiation de la violence que j’ai eue ce soir et dont je te demande pardon à genoux. Mon Victor, il y a encore une preuve d’amour que je te donnerai, ce sera de te cacher la profondeur de la blessure que tu m’as faiteb ce soir.
Bonsoir, mon âme, bonsoir, ma pauvre âme martyrisée par trop d’amour. Dors bien, calme-toi, pense à moi sans amertume. Je t’aime, je t’adore, je ne peux ni vivre ni mourir sans ton amour.
Juliette
Ma lampe s’éteint, je n’y vois plus.
[Adresse :] :
À mon pauvre adoré
BnF, Mss, NAF 16324, f. 39-40
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « imposera ».
b) « fait ».