Guernesey, 4 février 1859, vendredi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour de tout mon cœur. J’ai déjà mis toutes voiles au vent ce matin pour laisser tout le temps à Suzanne de vous faire un bon dîner. J’espère qu’elle n’y manquera pas pour peu surtout que les Marquand lui en fournissent le moyen. Quant à moi, je me suis déjà arrangé mon ambigu, peu comique : une tasse de bouillon froid et un morceau de viande froide, voilà le menu de mon festin. Mais quant au menu de mon cœur, je n’en parle pas, et pour cause, puisque je ne vous reverrai pas de la soirée. Cela ne m’empêche pas de désirer que vous vous régaliez et que vous vous amusiez bien tous tant que vous êtes de Hauteville-housois, et toi en particulier, mon cher adoré, qui a tant besoin de diversion et de repos à ton effrayante activité de cerveau. Donc amusez-vous et tâchez de penser à moi un peu si vous pouvez, pendant que je vous aimerai à perte de vue. Heureusement que voici bientôt le printemps et que j’aurai enfin mon tour, sans compter le luncheon d’ancien que vous me devez plus mes quarante huit sous et dont je ne vous tiens pas quitte. En attendant que vous me soldiez tout mon dû EN ESPÈCE, je vous aime à millions et à milliards de milliards avec tous les baisers cumulés.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16380, f. 32
Transcription de Mélanie Leclère assistée de Florence Naugrette