Jeudi, 1 h. ½ après midi
[Entre le 16 février et le 28 avril 1835]
Voici qu’il est déjà bien tard pour un jour où tu n’as pas de répétition. Ce n’est pas un reproche, c’est le regret de ne pouvoir profiter des moments où tes occupations ne sont pas forcées. J’ai tant besoin de te voir. Tu ne sauras jamais à quel point tout me manque quand tu n’es pas là. C’est bien triste à penser et c’est bien vrai. Depuis plus de deux ans que nous nous aimons [1], je n’ai pas encore pu m’habituer à ton absence, je ne m’y habituerai jamais, même quand je serai morte. Je ne peux pas plus séparer mon corpsa du tien que ma pensée de ta pensée, mon âme de ton âme. Chaque fois que tu t’éloignes de moi, c’est une souffrance atroce que des mots articulés ne parviendraient pas à en rendre toute l’énergie. J’ai besoin de toi, je ne vis que pour toi, je n’aime que toi, je ne suis heureuse qu’avec toi.
Juliette
Je n’ose pas sortir pour aller faire mettre ce cadenas. Je t’attends pour cela. En attendant, je vais envoyer la bonne payer les contributions.
À propos, j’ai beaucoup souffert toute la nuit et ce matin encore. Mais tout cela vient de se résoudre en bêtise. Je ne m’étonne plus maintenant de la décomposition de mon visage et de la mollesse de mes 11. Je t’écris tous ces détails comme si je demeurais à 2000 mille lieuesb de toi et que je ne dusse te revoir que dans 3 ans. Tu vas bientôt venir, n’est-ce pas ? J’aime mieux te voir que t’écrire, te baiser que de te parler.
BnF, Mss, NAF 16323, f. 179-180
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « corp ».
b) « liues ».