Mardi soir, 7 h. ½
Vous êtes bien joli et bien charmant ce soir. C’est toujours comme ça le jour où vous devez aller au théâtre, ce qui ne m’arrange que médiocrement, et ce qui me tourmente furieusement. Mais soyez tranquille, je vous surveillerai de près et si je découvre la moindre galanterie, je vous tue pour vous apprendre. Non, mais très sérieusement, je ne veux pas que tu te montres ce soir avec ta jolie petite figure de tout à l’heure, et puis je ne veux pas non plus que tu prennes l’habitude d’être le plus fashionablea [1] des hommes de lettres. Je ne t’ai pas aimé à ces conditions-là d’abord, vous le savez bien. Je vous ai prié de venir de bonheur [2] ce soir. Nous verrons si vous tenez compte de ma prière. J’emploie tous les moyens, toutes les ruses, tous les prétextes imaginables pour vous voir cinq minutes plus tôt. Mais cela ne me réussit guère. Ordinairement, vous êtes toujours avec tout le monde excepté avec moi. Je ne suis même pas sûre qu’en faisant un enfant exprès pour vous voir une fois le matin, j’y parvienne encore. Et dire que tout cela ne m’empêche pas de vous aimer, au contraire. Je vous aime comme si vous étiez le plus assidu des amants. Oh oui, je t’aime, je ne plaisante pas quand je te dis cela. Je te le dis avec mon sang, avec mon cœur, avec ma voix, avec mon âme. JE T’AIME.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 73-74
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « fasionnable ».