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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 février [1842], samedi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour. Rien ne peut donc plus vous décider à venir maintenant ? C’est charmant mais je vous engage à ne pas continuer cependant, à moins que vous n’ayez pris une assurance contre les giffes, les griffes et les dents d’une Juju enragée.
Il fait un temps ravissant. Quel dommage que je ne puisse pas en profiter avec vous. C’est fort bête et fort ennuyeuxa, presque autant que la mère Devilliers du TIRAGE [1]. J’espère que cette vieille sotte viendra cependant tantôt. Sans cela il faudra y renoncer car je n’ai pas envie de vous laisser plus longtemps le prétexte de cette visite pour ne pas venir me faire la vôtre. Voilà mon opinion. Taisez-vous monstre.
Dites donc vous, on vous donnera de l’élixir et des brosses à dents quand vous m’aurez donné du QUIBUS [2] pour en avoir, puisque vous ne voulez pas que j’achète À L’ŒIL.
Taisez-vous et menez-moi promener, ça vaudra bien mieux. Mon Dieu quel beau temps et que je voudrais donc que vous me fassiez sortir.
Je vais envoyer la lettre de votre cousin à ce pauvre Lanvin, en même temps cela les avertira et ils sauront me dire s’ils ont ou non un habit suffisant pour cette cérémonie [3].
Pauvre Toto adoré, à part la fureur bien légitime que me causent vos absences, je t’aime de toute mon âme avec passion, avec religion et admiration. Je t’aime comme jamais homme n’a été aimé avant.

Juliette

BNF, mss, NAF 16348, f. 115-116
Transcription de Nicole Savy

a) « ennuieux ».


5 février [1842], samedi soir, 4 h. ½

Toujours personne, ni vous ni la vieille sempiternelle [4] de maîtresse d’école. Quant à vous, je vous donnerais des claquesa de bon cœur pour vous apprendre à me faire poser depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre. Pour la vieille Devilliers, je l’envoie à tous les diables.
Je m’embête considérablement, je ne sais pas si vous le savez. Je crois qu’il est temps de me changer de place si vous ne voulez pas que je moisisse jusqu’à la moelle des os. J’espère que je ne suis pas exigeante car depuis un an et plus, je pourrais compter les fois où vous m’avez fait sortir, ça ne serait pas bien long, et le nombre de CULOTTES ne tiendrait pas beaucoup de place non plus.
À propos de culotte, mon porte-manteau a trouvé charmant de se casser et de tomber avec tout ce qu’il y avait après, y compris le beau paletot rouge que j’ai essayé par parenthèse et qui a fait pousser des rugissements d’admiration à ma péronnelle [5]. Toujours est-il que je vais faire venir le menuisier pour le racmoder [6]. Enfin voilà, c’est un petit accident auquelb je suis sujettec bien souvent car ma servarde et ma péronnelle s’y prêtent de très bonne grâce.
Baisez-moi Toto, je vous aime. Mais pour Dieu venez ou je me fâche tout rouge. Baisez-moi encore, encore, encore, encore, toujours, toujours.

Juliette

BNF, mss, NAF 16348, f. 117-118
Transcription de Nicole Savy

a) « clacques ».
b) « que ».
c) « sujet ».

Notes

[1Possible jeu de mots sur la famille Villiers du Terrage :Edouard (1770-1855), archéologue et ingénieur, et son frère Paul Etienne (1774-1858), alors Pair de France, dont Juliette a du entendre parler. Rien ne dit que la maîtresse depension détestée appartient à cette famille.

[2Populaire : de l’argent, de la monnaie (littéralement, « de quoi »).

[3Voir la lettre du 3 février au soir, sur une demande à Adolphe Trébuchet d’aide aux Lanvin.

[4Forme substantive rare, mais attestée par Littré.

[5Juliette désigne ainsi sa fille Claire.

[6Variante abrégée de « raccommoder », utilisée en Normandie.

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