Jersey, 26 janvier 1853, mercredi après-midi, 2 h.
Oh ! que j’aimerais bien mieux jouer des jambes avec vous à un Plémont [1]a quelconque que de faire courir mes pattes de moucheb sur le papier comme je le fais dans ce moment-ci. Vraiment il devrait y avoir une loi qui ordonne aux gens de s’aimer et d’être heureux les jours de soleil. Si jamais je suis gouvernement, ce qui ne peut pas manquer, j’en ferai une de loi ORGANIQUE pour forcer les Toto à promener leur Juju sur les monts et dans la plaine quand il fait beau, sous peine de mort. Vous verrez un peu ce que sera mon code pénal et comme il enfoncera celui de Napoléon, le GRAND, et tous les autres. En attendant, j’ai su des nouvelles de votre festin d’hier. Il paraît qu’il a été comme sur des roulettes d’écrevisse, encore un peu et vous auriez pu faire d’une pierre deux repas, le dîner d’hier et le déjeuner d’aujourd’hui. Pour arriver plus lentement à ce résultat elles s’étaient associées trois, réunies mais aussi médiocres saucialistes que sales cordons-bleusc. Heureusement que vous aviez tous plus ou moins le rôti supplémentaire de Madame Scarron [2]. Aussi, je ne vous ai pas plaint mais j’ai eu beaucoup d’inquiétude quand j’ai vu 10 h.¼ et pas de Suzarde. J’allais me mettre en route pour savoir ce qu’elle était devenue lorsqu’elle est arrivée et qu’elle m’a raconté les incidents mémorables de votre Balthazar. Sur ce, je me suis couchée en vous souhaitant une bonne digestion et beaucoup d’amour pour moi.
BnF, Mss, NAF 16373, f. 97-98
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « Plémond ».
b) « mouches ».
c) « sâle cordon-bleu ».
Jersey, 26 janvier 1853, mercredi après-midi, 2 h. ½
Je te disais donc, mon cher petit Toto, que je me suis couchée après le récit de Suzanne. Du reste pendant que vous aviez à lutter contre la jerserie sauciale, moi j’assistais à travers ma porte à une pile [3] jersiaise dans laquelle les djinns [4] mâles et femellesa échangeaient tendrement les renfoncements les plus énergiques. Cette ivresse conjugale m’avait quelque peu effrayée et quoique je fusse enfermée chez moi à clef je n’en aib pas moins eu un battement de cœur atroce. C’est la seconde fois que ces braves Jersiais me procurent cette désagréable émotion. J’espère que ce sera la dernière d’ici à mon déménagement. Cependant, je n’en voudrais pas répondre, car il y a un pot dans la cuisine rempli d’une liqueur suspecte.
Enfin, à la grâce de Dieu et des triques, je tâcherai de ne pas m’en émouvoir mais c’est un effet purement physiquec contre lequel le raisonnement échoue. Le meilleur remède serait que tu ne me quittassesd pas, c’est-à-dire la chose impossible. Faites-vous du daguerréotype aujourd’hui ou de la photographie [5] ? Vous me direz cela le plus tard que vous pourrez, mais telle est ma faiblesse que je ne vous en aimerai pas moins. C’est absurde, mais que voulez-vous que j’y fasse ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16373, f. 99-100
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain
a) « femmelles ».
b) « je n’en n’ai ».
c) « phisique ».
d) « quittasse ».