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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 août [1839], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour mon Toto chéri. Comment vas-tu mon petit homme ? Je me suis fait des reproches cette nuit de t’avoir tourmenté par des craintes exagérées, peut-être, mais qui, si elles ne le sont pas, n’en sont pas moins inutiles, surtout dans un moment où tu travailles. Pardonne-moi mon cher petit bien-aimé, et pense que si je m’inquiète dans l’avenir c’est parce que je crois la sécurité de notre bonheur menacée. Mais le bon Dieu ne nous mettra pas à une si cruelle épreuve, je l’espère. Voici une lettre qu’on m’apporte dont je ne connais pas l’écriture et qui a tout l’air de venir d’un créancier. Le pli et l’écriture ne sont pas rassurantsa. Enfin au petit bonheur il ne sera pas dit que je cagne [1] dans les moments où il faut du courage. D’ailleurs mon pauvre bien-aimé adoré, tu me donnes l’exemple. Il est impossible d’être plus dévoué et plus résigné que tu n’es. Je t’aime, va. Je t’aime comme un pauvre ange que tu es. Seulement je ne veux pas que vous soyez si admirateur des feuilletons du VICOMTE CHARLES DELAUNAY [2], sans cela, je vous f…iche des coups. Baisez-moi cher bien-aimé et tenons-nous bien serrés l’un contre l’autre afin que le malheur ne nous renverse pas s’il s’abat sur nous. Je sais que j’ai encore plus peur de perdre une parcelle de notre amour que de tous les créanciers du monde. Baise-moi, aime-moi et viens me voir si tu peux dans la journée, cela me donnera du courage.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 215-216
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « rassurans ».


11 août [1839], dimanche après-midi, 4 h. ½

Je t’écris, mon adoré, dans l’obscurité la plus profonde, mes persiennes et mes fenêtres sont fermées. Les affreux maçons continuent à faire pleuvoir le plâtre et les gravois [3] dans la rue que c’est une bénédiction. Nous avions tout à fait oublié Mignon, aussi quanda il est venu tantôt chercher son argent, j’ai été forcée d’emprunter 10 francs à la bonne. Je ne sais pas si c’est une [idée  ?] mais il me semble que jamais je n’ai autant dépensé d’argent comme à présent : à peine est-il dans mes mains qu’il disparaît. Cependant je suis bien sûre de n’en pas faire mauvais usage. Je n’achète rien que de nécessaire et que tu sais. Peut-être aussi cela me fait-il autant d’effet à cause de la manière dont tu le gagnes, mon pauvre adoré. Hélas, s’il ne dépendait que de ma volonté et de mon courage, tu n’aurais pas à t’occuper des besoins de ma vie depuis longtemps, mais je n’y peux rien que de me désoler et Dieu sait que je n’y manque pas. Mon Victor je t’aime. J’attends Mme Pierceau si son objet ne joue pas ce soir. Je voudrais bien te voir, mon Dieu, pour te baiser et pour te remercier de la bonté et de la douceur infinies que tu as misesb hier pendant que je m’exaspérais. Merci mon adoré. Rien de ton admirable nature ne m’échappe. Je vois ta beauté avec mes yeux et ton âme à travers mon amour. C’est pour ça que je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16339, f. 217-218
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « quant ».
b) « mis ».

Notes

[1Cagner : Reculer devant la besogne ou le danger, renoncer, céder.

[2PSEUDONYME DE DELPHINE DE GIRARDIN .

[3Gravois : variante de « gravats ».

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