Guernesey, 18 déc[embre] [18]72, mercredi matin, 7 h. ¾
Cette fois-ci, mon grand bien-aimé, vous n’arrivez que Sc. moi Pre. et le Soleil Der [1]. Sans vous commander, j’étais levée avant sept heures, à la nuit encore archia noire ; j’avais toutes sortes de bonnes raisons pour cela ; la première, qui les vaut toutes, c’est que j’avais à cœur de vous voir, ce qui s’appelle voir, en chair et en os ; la seconde, c’est que je tiens à ce que votre fameuse poupée [2] soit finie aujourd’hui, ce qui n’est rien moins que sûr, avec les encouragements que vous prodiguez au sans gêne naturel de Blanche et à sa flânerie. Je vous fais grâce des autres raisons. Pour la première, de raison, j’ai la joie d’avoir réussi car je t’ai vu, mon adoré, et j’ai même remarqué que tu te penchais de mon côté [3] avec une intention qui m’a été au cœur et dont je te remercie avec ce que j’ai de plus tendre et de meilleur en moi. J’espère que ta nuit a été aussi bonne que la mienne l’a été peu. Je suis dans une phase d’insomnie depuis quelques jours, causée par d’innombrables et tracassières douleurs ; la force de l’habitude fait que je ne m’en porte pas plus mal, aussi je ne m’en plains que pour la forme. C’est décidé, mon cher adoré, je n’assisterai pas à ton Christmas demain [4]. Je suis trop patraque et trop trouble-fête pour cela. Je te prêterai mes deux suivantes, tâche d’en tirer le meilleur parti possible. Pour moi, mon adoré, la vraie fête sera de t’aimer, religieusement dans mon for intérieur et de te bénir. Tu vois que ma part de bonheur ne sera pas la moins grande de toutes celles que tu donneras demain à tes hôtes.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 348
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « archie ».