Guernesey, 29 sept[embre] [18]72, dimanche matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher adoré, comment as-tu passé la nuit ? Si c’est bien je te souris ; si c’est le contraire ja pas contente mais dans tous les cas je t’aime, je t’aime, je t’aime. C’est aujourd’hui que ta chère Petite Jeanne, ta bien-aimée, entre dans ses trois ans. C’est un âge cela [1]. Aussi je me dispose, le grand saint Michel aidant, à faire fête à ce cher petit démon-ange né sous ses ailes en le comblant de tartes, de confitures, de raisin, de poires, de pêches et autres saintes gourmandises de la saison et dont Môsieu le Petit Georges prendra sa bonne part. Le temps est tout à fait calme ce matin et il serait possible que M. Lockroy ait pris le parti de s’en aller ce matin malgré ce que tu lui as dit de l’inutilité de ce départ hâtif puisqu’il n’y a pas de bateau pour la France avant mardi. Le probable pourtant c’est qu’il sera resté pour savoir à quoi tu t’es décidé pour la question de la députation que t’offre l’Algérie [2]. Quant à moi, qui m’y connaisa comme à ramer des choux [3], je trouve que tu as raison de ne pas accepter et que ton fils [4] et Lockroy ont raison de désirer que tu interviennesb comme le Deus [ex] machina de l’amnistie et de la dissolution de cette assemblée féroce, hébétée et déshonorée. Dans ce conflit de bonnes raisons de ton côté et du leur je me range lâchement d’avance au parti que tu choisiras : devine si tu peux et choisis si tu l’oses [5]. Moi je t’adore. Est-ce clair ?
BnF, Mss, NAF 16393, f. 266
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « connaît ».
b) « intervienne ».