Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1842 > Avril > 24

24 avril [1842], dimanche matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon Toto chéri. Bonjour, mon amour bien aimé. Bonjour, mes deux Toto [1]. Comment allez-vous mes bons petits amis ? J’espère que vous n’avez pas l’affreux mal de tête que j’ai en ce moment. Je n’y vois plus clair. Décidément je ne suis qu’une vieille patatraque [2]. C’est égal, si vous venez me prendre ce soir pour le clair de lune, mon ami Toto, je serai la plus heureuse des femmes et la plus guérie des Jujus. Je viens de corriger Fouyou d’importance mais je le crois incorrigible comme beaucoup de gens de ma connaissance. Attrape-ça champagne, c’est du lard. Mon Dieu que j’ai mal à la tête, je n’en peux plus. J’ai interrompu ma lettre ici, mon adoré, tant je souffrais. Maintenant je la reprends après avoir fait ta tisanea et le déjeuner de Fouyou. D’aller et de venir, cela m’a un peu calmée. Vraiment je ne savais plus où me mettre. Je t’aime, mon Toto chéri, tu le sais bien, n’est-ce pas ? Je ne te le dis pas non plus pour te l’apprendre mais parce que ce mot-là est toujours sur mes lèvres et dans le bec de ma plume comme l’amour dans mon cœur. Baise-moi, mon Toto chéri. Pense à moi, aime-moi et tâche de venir bientôt. Je suis abrutie par le mal de tête, je ne sais que devenir. Mon Toto, je te demande pardon mais je ne sais plus ce que j’écris, je ne vois plus. Ce n’est pas un mal de tête c’est une rage de tête. Je t’aime, voilà ce qui est bien sûr et bien à l’abri du mal de tête.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 311-312
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) « tisanne ».


24 avril [1842], dimanche soir, 11 h. ½

Ma pendule avance d’une heure [3], mon Toto, et j’ai fait mes comptes et rangé mes affaires de nuit. Mes péronnelles sont parties. Je dis mes parce qu’en effet Mme Pierceau et Mme Franque sont venues toutes deux ce soir après leur dîner et qu’elles se sont en allées toutes ensemble. J’ai plus que jamais mal à la tête, je suis abasourdie. Cependant votre époussetage aurait dû me guérir, décidément j’ai un mal de tête fort entêté. Dites maintenant que vous n’êtes pas ravissant de ressemblance et mon plumeau aussi rien que lui vaut son pesant d’or. [Dessin]a Si vous étiez consciencieux vous me le payeriez ce qu’il vaut sinon en argent du moins en nature, mais vous êtes un filou et un voleur. Baisez-moi, vilain monstre. Vous êtes bien venu me faire marcher, n’est-ce pas vilain brigand. Voime, voime vous êtes fort gentil, c’est drôle. Si jamais je vous perds, je ne vous ferai pas tambouriner, soyez tranquille. Merci je sors d’en prendre. Baise-moi, baise-moi, homme infiniment disgracieux et tais-toi. Voilà pourtant bien l’heure de venir qui s’avance, pourquoi ne venez-vous pas ? Quel affreux Jean de Nivelle vous faites [4]. Allez, plus on vous appelle, plus on vous attend et plus on vous désire et moins vous venez. Oh ! vous êtes très gentil, il faut le dire vite. Tenez, si je pouvais, je vous flanquerais des gifles. SACRÉ MÂTIN je n’y manquerais pas.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 313-314
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette

a) Dessin représentant Victor Hugo, un plumeau à la main.

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1François-Victor Hugo. D’une santé très fragile quand il était enfant, il tombera très souvent malade. Depuis le début du mois de février il souffre d’une grave maladie pulmonaire qui connait beaucoup d’améliorations et de rechutes dont la convalescence n’interviendra qu’à l’automne.

[2En plus de sa maladie du mois de février, dont elle a eu du mal à se remettre, Juliette souffre très régulièrement de migraines et de maux d’estomacs.

[3Elle fait mention de sa pendule défectueuse à de nombreuses reprises dans sa correspondance, il s’agit sûrement d’un « défaut » intentionnel de sa part.

[4Référence à l’adage « Être comme ce chien de Jean de Nivelle (qui fuit quand on l’appelle) » pour évoquer quelqu’un qui se dérobe d’autant plus qu’on a besoin de lui.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne