Guernesey, 29 octobre [18]68, jeudi matin, 7 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, je t’adore. Je viens de constater une fois de plus combien il est difficile de te happer au vol de la serviette. Je te guettais, j’avais les yeux braqués sur ton toit, je me croyais sûre de mon fait, ah bien ouiche [1], ta poudre d’escampette a été plus forte que mon attention et j’en suis pour mes frais d’ŒIL CREVÉ qui n’y a vu que du… brouillard. De honte et de dépit, je suis venue me refourrer dans mon lit en attendant que ma pauvre vieille Suzanne soit levée. Mais quel affreux temps toute la nuit ! Pourvu qu’il ne t’ait pas empêché de dormir, surtout dans ce moment-ci où tu es dans une phase d’insomnie. Je serai bien contente d’apprendre tantôt que ma crainte n’est pas justifiée ; mais jusque-là, je ne serai pas tranquille. Quant à moi, je n’ai pas trop à me plaindre de ma nuit et de mon bras. Je ne sais pas encore comment vont les pattes de Griffon. La pauvre petite a là un bien vilain bobo qu’il me tarde de voir guéri pour elle d’abord, pour nous ensuite. En attendant, je finis comme j’ai commencé : je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 297
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette