Guernesey, 5 décembre 1868, samedi matin, 8 h.
Bonjour, mon doux adoré, bonjour. J’espère que tu as bien dormi. Moi, je fais comme le temps qui rabâche toujours la même vieille pluie pendant que je rumine sans cesse les mêmes vieilles douleurs. À nous deux, nous sommes aussi ennuyeux que tous les embêtements réunis. Un autre ennuyeux, c’est le citoyen Lacroix. Quand je pense qu’il ne t’a pas encore accusé réception de ton premier envoi [1], c’est à ne pas croire ! Quel stupide et maussade MÔSIEU que ce Belge-là ! J’aime encore mieux la pluie et la goutte. Il n’est pas probable que tu fasses ouvrir la salle du billard aujourd’hui ? Ce serait vouloir y introduire toute l’humidité dont l’air est saturé. Pour faire cette ouverture utilement, il faut attendre que le temps soit parfaitement sec. Autrement le remède serait pire que le mal, si mal il y a. J’appelle ton attention là-dessus tout en me disant que tu n’as pas besoin de cet avertissement car tu sais mieux que moi ce qu’il est bon, utile et opportun de faire pour cela comme pour toute chose. Mais j’ai l’habitude de te gribouiller au hasard de ma pensée, ce qui fait que je te dis tant de choses oiseuses et oisonnes. Heureusement que je me rattrape sur mon cœur. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16389, f. 334
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette