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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 février [1840], mardi après-midi, 1 h. ¾

Bonjour mon petit homme bien aimé, bonjour, comment vas-tu ? Moi j’ai cru que je ne pourrais pas me lever. Maintenant je crois que je vais me recoucher ce qui est assez monotone de ce beau temps-ci. J’ai mal à la tête et partout. Je voudrais que tu me dispensassesa de t’écrire régulièrement tous les jours et à la même heure car il y a des jours et des heures où je ne suis rien moins qu’à mon aise et où je ne sens mon cœur et mon amour que comme on sent qu’on a des dents quand on en souffre. Je suis souvent dans cette disposition-là et mes lettres [v ? n ?]…..b Je t’ai vu un instant, mon petit bien-aimé, et ce seul rayon de bonheur a suffic pour chasser toute la brume de mon âme… Je t’aime, je ne souffre plus et si tu reviens je serai heureuse. Tu vois, mon Toto, qu’il n’est pas si difficile de me contenter que tu crois. Un mot de toi c’est ma joie, un sourire mon bonheur, un baiser l’extase et le ravissement. Je commence à croire que tu seras nommé, je trouve tes chances meilleures aujourd’hui qu’il y a trois jours [1]. Cependant ces gens sont capables de tout et rien ne leur est impossible si ce n’est de te nommer. Enfin nous verrons mais je te le répète les chances sont meilleures à présent qu’auparavant. J’aimerais mieux courir la campagne avec toi que toutes les nominations du monde dont tu serais l’objet. J’en suis encore à aimer mieux l’amour que tous les avantages politiques et littéraires d’un académicien. Je changerai, peut-être, mais jusqu’à présent je n’ai pas d’autre ambition que toi, d’autre désir que toi, d’autre bonheur que toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 172-173
Transcription de Chantal Brière

a) « dispensasse ».
b) Le mot est interrompu après la première lettre pour marquer l’arrivée de Hugo.
c) « suffit ».


18 février [1840], mardi soir, 6 h. ¼

Il fait encore grand jour, mon adoré, il est vrai que ma pendule avance. Tu es sans doute obsédé, mon Toto, de tous les visiteurs intéressés à la question ou seulement curieux et de plus tu dois être par voie et par chemin pour satisfaire aux exigencesa de ceux qui veulent gagner la partie [2] ? Tout cela fait que je ne te verrai peut-être pas avant 1 h. du matin. J’ai oublié de te demander si tu souperais à la maison de sorte qu’il n’y a aucune fricassée de prête et que si par hasard tu viens me demander à souper je te ferai crever de faim sur les débris de ton festin de l’autre nuit. Enfin ce ne sera pas tout à fait ma faute et tu ne m’en voudras pas. Je garde religieusement le manuscrit sans même ouvrir le tiroir dans lequel il est dans la crainte de succomber à la tentation. Je ressemble au chien qui porte à son cou le dîner de son maître [3] avec cette différence que je ne rencontrerai pas quelque bon larron qui m’autorisera à partager ma curiosité avec lui et à la satisfaire de compagnie. Il faut que j’attende que tu veuillesb bien me le lire. Je te le demanderai avec instance ce soir ; pourvu cependant que tu ne sois pas trop fatigué et que tes yeux ne soient pas trop malades. En attendant je t’aime, mon Toto, je t’adore, mon petit homme, et je te désire de toutes mes forces. Tâche de venir entre deux visiteurs ou deux visites et aime-moi un peu pour tout ce que ton absence me fait souffrir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 174-175
Transcription de Chantal Brière

a) « exigeances ».
b) « veuille ».

Notes

[1Hugo est candidat à l’Académie française.

[2Hugo est candidat à l’Académie française.

[3Fable de La Fontaine, « Le Chien qui porte à son cou le dîné de son Maître », Livre VIII, VII.

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