22 novembre [1837], mercredi, midi ¾
Ah ! par exemple vous le faites exprès. Aussi soyez sûr que je vous rendrai indifférence pour indifférence ; donnant, donnant, voilà ma devise.
Parlons maintenant d’autre chose. Que dites-vous de la prise de Constantine [1] ? Il ne me paraît pas que le ministère puisse rester encore longtemps ainsi composé, et Thiers et Barrota pourraient bien être appelés à composer le nouveau cabinet [2], qu’en pensez-vous ? La crise commerciale se fait toujours sentir dans nos marchés ; les huiles vont toujours mal, par exemple, huile de navette, tenue à 47 francs et demandée seulement à 45 ; on espère un meilleur maintien de cet article pour l’année prochaine, mais j’en doute, et vous ?
La cargaison flottante de la Comédie-Française, livrable à 20 sous et en-dessous, ne peut pas s’écouler ; les pièces brutes des plantations Ancelot ont subi une baisse considérable, lundi dernier. On espère une hausse de un sou dans les marchés suivants, mais le public et les raffineurs des feuilletons n’en veulent plus même pour rien. Si la camelote de Casimir Delavigne reste toujours invendable, la Comédie-Française sera obligée de regarder des balles [3] d’un œil philosophique et de les mettre en caisse faute d’argent. Tout ceci ne vous présage-t-il pas comme à moi une révolution prochaine, dont les conséquences seront terribles pour le gouvernement de Juillet ? Quant à moi c’est avec effroi que je vois les carlistes partir de Saint-Jean-Pied-de-Port pour arriver à Paimbœuf après avoir séjourné à Sainte-Menehould [4]. Je suis rassasiée d’avance du récit de toutes les horreurs qui troublent la digestion et la tranquillité des citoyens dont vous faites le principal ornement. Agréez, je vous prie, l’expression de ma haute considération.
J. Drouet
Source inconnue, lettre publiée dans [Guimbaud]
Annotation de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « Barot ».
22 novembre [1837], mercredi soir, 5 h. ½
Il est bien triste de penser, mon pauvre bien-aimé, que je t’ai fatigué et affligé aujourd’hui si bêtement et si inutilement. Je ne comprends pas moi-même comment cela s’est fait car en regardant dans mon cœur je n’y trouve que de la tendresse la plus tendre et de l’adoration la plus entière. Il faut que nous soyons toi et moi possédés à notre insua par un vilain petit démon qui dénature et les paroles que je dis et celles que tu entends, sans cela nous serions toujours contents l’un de l’autre puisque nous nous aimons de toutes nos forces. Il faut maintenant nous défier de nos langues et de nos oreilles puisqu’elles nous jouent de si vilains tours, et ne nous en rapporter qu’à notre cœur qui est toujours dans le vrai c’est-à-dire dans l’amour. Depuis que tu m’as quittée mon cher petit homme je suis on ne peut plus mal à mon aise. Je ne sais à quoi attribuer cette petite indisposition. Peut-être que si je te voyais elle s’en irait tout de suite quitte à revenir après que tu serais parti. Il y aura demain 6 jours depuis que vous n’êtes venu déjeuner avec moi mon petit homme.
7 h. ¼
Je reprends le fil de mon histoire avec d’autant plus de force que je t’ai vu, mon cher adoré. Que tu as été bon et charmant pour moi ! Aussi je t’aime, je t’aime, je t’aime. Je ferai en sorte de n’être plus jamais méchante. Ce sera très difficile mais je n’en aurai que plus de mérite, n’est-ce pas mon Toto ? Jour, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 83-84
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « insçu ».