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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 novembre [1837], vendredi après-midi, 4 h. ½

Cher petit bien-aimé. Je souffre mais je ne suis pas du tout grognon. Je vous aime. Je suis heureuse, du moins je viens de l’être. Il est vrai que j’ai l’espoir de ne pas vous revoir de toute la soirée, ce qui diminue d’autant l’impression de bonheur de tout à l’heure. Je voudrais que tous les beaux-frères ambitieux [1] fussent à tous les cinq cents diables [2].
Je vais me dépêcher de me débarbouiller pour travailler pour vous. Combien que vous me paierez, hein ? Oh la la, ça me fait mal… C’est vous qui en êtes la cause, méchant Toto. Tiens, voilà la nuit. Oh ! oh ! vite, que je vous dise que vous êtes mon Toto bien aimé, que vous êtes très beau et très méchant. Je vous prie si vous y pensez de m’apporter quelque chose en cadeaux sans aucun calemboura. Il y a très longtemps d’ailleurs que vous ne m’avez accabléeb de vos bienfaits et puis il n’y a que les honteux qui perdent à ne rien demander. Moi je redemande et je n’obtiens rien, c’est toujours ça de gagnéc. Soir pa, soir man. Pensez à moi. Je vous aimerai encore plus si c’est possible.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 9-10
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « calembourg ».
b) « accablé ».
c) « gagner ».


3 novembre [1837], vendredi soir, 9 h.

Il paraît que vous avez endossé le fameux habit noir. Grand bien vous fasse et à M. Barthe [3] aussi. Moi je rage, comme toujours. J’ai travaillé ce soir, moins vite que l’autre jour parce que chemin faisant j’ai lu plusieurs numéros que je ne connaissais pas. Je vais achever pourtant ce soir les trois volumes qu’ila me reste encore à faire. Vous aurez à répondre à bien des faits nouveaux que je trouve au fur et à mesure dans mon travail [4]. Nous verrons comment vous vous en tirerez. Si j’étais derrière vous dans ce moment-ci, il est probable que je vous donnerais de fameux coups de piedb par-dessous les basques de votre magnifique habit. Mais prenez-moi donc à votre service, vous verrez comment vous serez servi dans des occasions comme celle-ci. Hum, que j’aurais du plaisir à vous habiller moi-même. Quel admirable quart d’heurec je vous ferais passer. C’est bien malheureux que vous ne donniez pas encore dans le luxe des GROOOMES [5]. J’aurais été le vôtre et vous auriez été très heureux et moi aussi, au lieu que comme je suis je bisque, je rage et je mange du fromage plus qu’à discrétion. Je vous aime en attendant, et de toute mon âme encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 11-12
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « qui ».
b) « pieds ».
c) « quard-d’heure ».

Notes

[1Juliette est jalouse du temps que Hugo passe avec son beau-frère Paul Foucher. Celui-ci fera représenter le mois suivant le drame Guillaume Colmann au Théâtre de la Porte-Saint-Martin (23 décembre 1837). Certains chroniqueurs y ont trouvé des similitudes flagrantes avec la manière des drames de Hugo, insinuant que ce dernier avait pu collaborer à l’œuvre, voire en être l’auteur (Foucher lui servant de prête-nom). Quoi qu’il en soit, Hugo a pu intercéder auprès de Harel pour faire recevoir le drame en question.

[2Être aux cinq cents diables : être loin de toute civilisation, perdu au milieu de nulle part.

[3Hugo fréquente Félix Barthe sans doute dans le cadre du procès qu’il prépare contre la Comédie-Française.

[4Juliette se charge de passer en revue les journaux, pour le décompte des représentations des pièces de Hugo et le calcul de ses droits, etc., en vue du procès qu’il prépare contre la Comédie-Française (voir également la lettre du lendemain).

[5En français, l’introduction du mot « groom » (jeune valet ou laquais), emprunté à l’anglais, est encore très récente (1826), ce qui peut expliquer son orthographe fantaisiste sous la plume de Juliette.

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