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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 mars 1840

13 mars [1840], vendredi après-midi, 1 h.

Bonjour mon cher petit bien-aimé, je t’aime, bonjour comment vas-tu ? J’ai lu encore hier cette sublime protestation contre l’affront fait à cette pauvre femme morte [1]. J’ai baisé chaque ligne et chaque mot comme si j’avais baisé tes mains, tes lèvres, tes yeux, ton front et tes beaux cheveux si doux et si propres qu’on voudrait les manger. Je vais les copier tout à l’heure aussitôt que j’aurai écrit mon petit gribouillis. Il y a entre mes lettres et celles de Mme de Sévigné le même rapport qu’entre mes dessins et les cartons de Raphaël. Ona voit que j’ai étudié les grands maîtres et que je me suis imbue des bons principes de l’art et du style. Voime, voime, voime, vraiment je ne vois pas de différence entre mes dessins et mes lettres et vous ? Baisez-moi, vieux scélérat, et rions ensemble de cet exécrable peuple qui boit du sang [2] et qui tient la hache du bourreau, mais surtout rions de moi et aimons-nous de toute notre âme comme deux bons petits amants fidèles que nous sommes. Baise-moi. J’ai trouvé en m’éveillant une lettre du petit Pierceau, j’ai craint que sa mère ne soit malade. Je l’ai ouverte et j’ai vu qu’ils n’étaient que BLAIREUX tous les deux, la mère et le fils, comme à leur ordinaire. Du reste ils n’ont pas l’air d’avoir reçu ma lettre. Je t’aime mon Toto chéri, je voudrais te voir et te baiser, je t’aime, je t’adore, viens vite mon amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16341, f. 264-265
Transcription de Chantal Brière

a) « Ont ».


13 mars [1840], vendredi soir, 5 h. ½

Je ne te vois jamais une fois, mon bien-aimé, que ton injuste jalousie ne me blesse et ne m’attriste le cœur. Cependant je te pardonne et je continue de t’aimer avec la même passion et la même fidélité qu’auparavant. Tout le mal que tu me fais n’entame pas mon amour, je souffre mais je t’aime, voilà. Tu ne veux pas me faire sortir, eh ! bien ça m’est égal pourvu que ce petit sacrifice te donne du repos et de la sécurité. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’aime de toute mon âme.
Je voudrais bien savoir quand tu boiras de la tisanea, jusqu’à présent c’est moi qui la boisb tous les jours, peut-être cela te fait-il le même bien ? Dans ce cas-là je ne demande pas mieux que de continuer mes libations quotidiennes. J’aurais bien de la joie à vous voir, mon Toto, car tantôt vous avez été si bête et si maussade que je n’ai pas [eu  ?] le bonheur que je voulais et que j’attendais de vous. Dites donc, et cette fameuse seconde culotte que vous deviez me donner si promptement, qu’est-ce qu’elle est devenue ? J’ai bien peur que le fond n’en soit uséc en réclamation de ma part et en retard de la vôtre, manière fort triste et fort bête de sed servir de cette CHOSE. Baisez-moi Toto et tâchez de me rendre un peu plus de justice si vous pouvez, si vous ne pouvez pas c’est bien, je vous aimerai tout de même. Baisez-moi et revenez bien vite si vous avez un peu d’amour et de remordse.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16341, f. 266-267
Transcription de Chantal Brière

a) « tisanne ».
b) « boit ».
c) « usée ».
d) « ce ».
e) « remord ».

Notes

[1Dans le poème « À Laure, duch. d’A. », Les Rayons et les Ombres, Hugo s’insurge contre le conseil municipal de Paris qui a refusé de donner un emplacement au cimetière du Père-Lachaise pour la sépulture de Laure Junot d’Abrantès.

[2Réplique de Marie Tudor : « Mais ris donc, rions toutes deux de cet exécrable peuple qui boit du sang. », Journée 3, partie 2, scène 2.

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