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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 2 novembre 1852, mardi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour avec la pluie qui attriste les yeux et la pensée, bonjour avec l’amour qui réjouit le cœur et l’âme, bonjour.
Quand je pense que tu as eu la bonté adorable de te détourner de ton chemin et de retarder ton dîner déjà si en retard, pour me donner la suprême joie de te voir en passant et que je n’en n’ai pas profité grâce à la paresse bestiale de mes hôtes, je suis touchée jusqu’aux larmes de tout ce dévouement et furieuse contre mon stupide entourage. Hélas ! si ce temps continue toute la journée comme cela n’est que trop probable, comment feras-tu sans risquer mille rhumatismes ? Qu’est-ce donc que tu attends pour acheter cette utile carapace en caoutchouc [1] ? À ta place il y a longtemps que je me serais revêtue de cette enveloppe fétide mais saine. Quant à moi, mon pauvre bien aimé, je suis placée entre le besoin de te voir quel quea soit le temps qu’il fasse, et le remords de t’exposer à des maux sans nombre. Cela n’est pas très drôle et je te serais particulièrement reconnaissante de le faire cesser le plus tôt possible sans me priver du bonheur de te voir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 123-124
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « quelque ».
b) « remord ».


Jersey, 2 novembre 1852, mardi matin, 11 h. ½

ET TOUJOURS DE LA PLUIE. Cela donnerait le spleen à des gaillards moins renfrognésa que ce pauvre Louis XIII. Quant à moi, je sais que je m’embête énormément dans cette île plus faite pour servir de bocal à poissons rouges que de pied à terre à des démagogues. Fichtre, il n’y a pas la plus petite goutte pour rire dans ce temps pluvieux que le déluge dont il descend. Surtout pour moi qui vis absolument seule derrière mes [vitres ?] troubles. Décidément, un peu d’humanité ne me déplairait pas, ne fût-ceb que pour échanger avec elle force stupidités qui m’étranglent et pas mal de démagogie qui m’étouffe. Si j’avais à choisir de nouveau, je préférerais me mettre en pension la plus bourgeoise que de vivre à mes crochets solitaires. La solitude n’est bonne que pour les esprits forts et les grands ours, mais elle atrophie les pauvres Juju comme moi. Je demande un peu de Féau mon antipathie pour les araignées ne me permettant pas de me livrer aux douceurs de leurs conversations. Qu’on me remplace mes souris blanches et grises par de vieux rats de l’opéra et même de Falempin. Je le demande avec insistance plutôt que de compter les gouttes qui filtrent à travers mon plafond et de récolter les champignons qui poussent à même mon papier. Je le demande au gouvernement français et impérial auquel je me rallie avec enthousiasme. Vive le sauveur de la France ! Vive sa majesté l’Empereur ! Vive Napoléon trois ! À bas les socialistes !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 125-126
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « renfroigné ».
b) « fusse ».

Notes

[1Vêtement imperméable que portent les autochtones et dont le nom inspire à Juliette jeux de mots et création langagière.

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