Bruxelles, 22 mai 1852, samedi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon ravissant bien-aimé, bonjour avec toutes les tendresses de mon cœur, avec toutes les bénédictions de mon âme, bonjour. Je me suis endormie hier au soir en berçant ta chère petite lettre sur ma poitrine après l’avoir couverte de baisers comme je l’aurais fait de toi si tu avais été dans mon lit. Ce matin, je viens de la relire et de la rebaiser avec des transports d’amour, de reconnaissance, d’admiration et d’adoration pour tout ce qu’elle contient de tendre, de bon, de grand et de sublime. Ce n’est pas une pierre que tu montes au divin sculpteur du génie et de la gloire, c’est un monument tout entier destiné à abriter l’humanité de siècle en siècle [1]. C’est pour cela, mon sublime bien-aimé, que tu sens quelquefoisa cette suprême lassitude du Christ montant sa croix au Calvaire. Moi je suis l’humble femme qui étanche à genoux la sainte sueur de ton front et qui baise avec dévotion la trace de tes pieds vénérés. Mon Victor si doux, mon Victor si grand, mon Victor martyr, mon Victor sublime, je répands sur toi tous les parfums de mon âme. Mon cœur est l’ostensoir où brûle mon amour jour et nuit comme un encens. Les mots manquent à mon adoration, mais je t’aime, je t’aime, je t’aime. J’ai le pressentiment que cette longue et douloureuse épreuve, que tu supportes avec tant de courage et de sérénité, touche à sa fin. Pourquoi ? Je ne le sais pas, mais jamais jusqu’à présent lorsqu’il s’est agi de toi cet esprit intérieur ne m’a trompé. J’espère, je crois, que cette fois encore il en sera de même, mon sublime proscrit, et que tu rentreras bientôt en France aux acclamations de la reconnaissance et de l’admiration [générales ?]. C’est ma conviction. En attendant, mon bien-aimé adoré, il faut tâcher de te réunir à ta ravissante et chère famille le plus tôt possible pour que ce côté de ton cœur soit [illis.]
Juliette
BnF, Mss, NAF 16371, f. 61-62
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « quelques fois »