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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 30 septembre 1852, jeudi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour. Que dites-vous de l’ouragan de cette nuit ? Hein ! Quels mugissements et quel vacarme infernal ! Quant à moi, je passe ma nuit à attendre le jour pour pouvoir me lever sans remords. Je ne me suis pourtant couchée qu’à 11 h. du soir. Je m’étais mise dans la tête de vous donner votre compte aujourd’hui. Pour cela j’avais besoin d’un certain papier à échéance que je n’ai jamais pu retrouver, malgré toutes mes recherches. Je n’y comprends rien. Je suppose que je l’ai peut-être remis avec tes propres papiers qui se trouvaient dans la même cassette. Du reste ce malheur peut facilement se réparer, il suffit pour cela d’écrire à la mère Lanvin de m’en envoyer un autre. Seulement c’est gênant pour fixer nos comptes semestriels aujourd’hui. Il faudra nous borner à la simple dépense personnelle. Et à ce sujet, mon cher bien-aimé, je te fais souvenir qu’au mois de janvier prochain, il y aura deux ans qu’on n’a pas payé les intérêts de Suzanne, ce qui augmentera sa dette de 250 F. Je te le fais remarquer, mon pauvre bien-aimé, pour que tu te défies de cette accumulation que tu pourrais oublier. Il me semble, sauf meilleur avis, qu’il vaudrait mieux couper court à cette plaie rongeante en lui rendant tout de suitea son argent. On serait toujours à temps pour le lui emprunter plus tard, si la nécessité nous y forçait. C’est 125 F. que nous récupérerions tous les ans. La chose en vaut la peine. Vois donc si ce parti n’est pas possible à prendre. Quant à présent, il faut que je prenne mon courage à deux mains pour t’écrire toutes ces choses tristes.
Mais je sens que c’est un devoir pour moi de te faire souvenir, au lieu de te les laisser oublier, au risque de te créer de véritables embarras impossibles à surmonter plus tard. Pardonne-moi, mon cher adoré, d’être la cause involontaire de tous ces ennuis et plains-moi de ne pouvoir pas t’aider à les vaincre. Ce n’est pourtant pas l’amour et le dévouement qui me manquent, ma conscience et mon cœur le savent.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 385-386
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « toute suite ».


Jersey, 30 septembre 1852, jeudi après-midi, 3 h.

J’ai reconnu ta voix, mon cher petit bien-aimé, ce qui m’a fait pencher la tête pour te voir passer avec tes deux enfants. Je n’ai pas bien compris cette distribution de famille et cette heure de promenade, puisque tu avais un rendez-vous à la ville à 3 h. et qu’il en était deux quand tu es passé. Du reste, je n’ai pas besoin de savoir. Il suffit que je devine que je ne te verrai pas avant ce soir pour être assez désappointée. J’ai beau me faire UNE RAISON pour te plaire, j’en ai mille AUTRES pour être très triste. Que voulez-vous que j’y fasse ? En attendant je viens de faire mes comptes, occupation assez maussade, et à laquelle je renoncerais avec joie si quelqu’un voulait s’en charger pour moi. Il résulte de ce travail que nous aurons 7 reconnaissances à renouvelera dans l’espace de six mois parmi lesquelles les deux plus fortes. Tu sais en outre que le loyer de Paris n’est payé que jusqu’au 15 janvier prochain [1]. Tout cela est bien pénible à te rappeler aussi en ai-je un mal de tête hideux. Dès que nous aurons terminé ensemble, je me sentirai un poids très lourd de moins sur le cœur. D’ici-là je crois que j’aurai beaucoup de peine à n’être pas très ennuyée, surtout si je ne dois pas te revoir avant ce soir. Ce n’est pas que je trouve que tu abuses de ta liberté, mon pauvre doux adoré, bien loin de là. Mais tu sais que je ne vis réellement que lorsque je te vois, que je ne suis joyeuse que de ton sourire, et heureuse que de ton amour.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 387-388
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « renouveller ».

Notes

[1S’agit-il de l’appartement de la rue de La Tour d’Auvergne dont le mobilier a été vendu aux enchères le 8 juin 1852 ?

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