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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 16 décembre 1852, jeudi matin 8 h.

Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour. Votre désir de me donner de l’occupation [1], comme si j’en manquais matériellement, vous pousse à me faire faire un travail dont je suis tout à fait incapable et qui, par cela même, deviendra pour moi la besogne la plus fastidieuse du monde. Vous oubliez, mon amour, que je suis de l’école du célèbre Richi [2], lequel ne savait pas assez écrire, même dans une île. Cependant, comme mon obéissance passive [3] ne me permet pas de me soustraire à vos ordres, quelque excessifs qu’ils soient, je tâcherai de les exécuter dès aujourd’hui et de mon moins mal possible. Ne vous en prenez qu’à vous si dans cette balayurea de souvenirs vous trouvez plus de pataquès que de faits, plus d’inepties que de choses intéressantes. Quantb à moi ce serait peine perduec que d’essayer à trier quelque chose qui ait le sens commun dans tout le fouillis que je vais ramasser pêle-mêled dans ma mémoire. Maintenant, mon petit Toto, n’oubliez pas de m’apporter du papier et souvenez-vous, quand le stupide gribouillis tombera sous vos yeux, que c’est à mon corps défendant et pour vous obéir que je l’ai fait.
D’ici là, mon cher petit homme, je vous aime avec une perfection et une supériorité de cœur et d’âme que je n’ai pas la fausse modestie de cacher et je vous adore à la face de Dieu, des hommes et du hideux Boustrapa.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16372, f. 273-274
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Jersey, 16 décembre, jeudi matin, 11 h. ½

Il m’est impossible de distraire ma pensée de toi, mon bien-aimé, et d’empêcher mon cœur de s’impatienter en t’attendant. Cependant, je devrais être habituée à cette vie partagée puisqu’elle a toujours été ainsi à de rares exceptions près. Mais je t’aime comme le premier jour de façon que je suis aussi peu blasée sur ton absence que sur le bonheur de te voir. C’est ridicule peut-être après vingt ans d’intimité mais c’est comme cela, ce n’est pas de ma faute. Aujourd’hui, jour de la poste, il n’est guère probable que tu viennes avant qu’elle ne soit arrivée chez toi. Je le comprends, mon cher petit homme, et je ne m’en fâche pas. À quelque heure que tu viennes, mon bien-aimé, je te sourirai avec joie et je te baiserai avec bonheur. Seulement plus tôt tu pourras venir et plus longtemps je serai heureuse. Eh, bien, comment s’est passé votre dîner et votre soirée hier ? La belle Mamzelle Dédé a-t-elle eu un peu de distraction ? Tu me diras cela tantôt. En attendant, je tire le plus que je peux sur les minutes pour arriver le plus tôt possible à l’heure de te voir.
Malheureusement mes efforts seuls n’y font pas grand-chose et tu ferais bien de pousser de ton côté pour que ce soit plus tôt fait et puis pense à moi et aime-moi pour que l’intervalle entre nos deux âmes soit moins long.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16372, f. 275-276
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Il s’agit de l’écriture du Journal de l’exil (ou Journal de Jersey).

[2Richi : coiffeur de Victor Hugo lequel à plusieurs reprises note ses propos étranges.

[3Un poème des Châtiments s’intitule « À l’obéissance passive ».

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