Bruxelles, 5 avril 1852, lundi matin, 8 h.
Bonjour mon cher petit bien-aimé, bonjour comment vas-tu ce matin ? Ta douleur de cœur est-elle diminuée ? Je voudrais avoir un peu plus de confiance dans la science du docteur Yvan, mais d’après ce que j’en vois jusqu’à présent, je ne suis rien moins que rassurée. Je ne parle pas seulement de la bévue d’hier car c’est plutôt celle du pharmacien que la sienne. Mais je parle de M. Luthereau et de la cuisinière dont les avis jusqu’à présents sont tout à fait négatifs. Je crois que la politique a absorbé chez lui toutes les autres facultés, y compris la faculté de médecine. Si je me trompe je lui en demande bien pardon, mais dans le doute, j’aimerais mieux te voir soigné par un autre médecin. Si tu penses que les consultations peuvent se faire à distance avec [illis.] tu pourrais écrire à M. Cabarrus ? Tu m’avais dit déjà que tu avais l’intention de lui écrire comme politesse, tu pourrais bien en même temps lui demander un conseil pour cette douleur qui menace de persister puisque voilà déjà plus d’un mois qu’elle te tourmente. Je sais par expérience ce que c’est que ces douleurs-là, aussi rien ne peut me tourmenter davantage que de ta savoir possédé par elles. Mon petit homme adoré, penses-y bien pour employera tous les moyens de t’en débarrasser et de me tranquilliser en même temps. Je t’en prie, mon bon petit homme, ne t’en rapporte tout à fait à Yvan, qui fait de la médecine de coup d’État. Quant à moi, j’ai passé une nuit blanche avec ma pauvre tête en feu et ma figure enflée et rouge ce matin. Je suis hideuse et je souffre toutes les souffrances de la brûlure la plus vive. Mes boucles d’oreille et les bagues en sont devenues toutes noires. C’est vraiment une atroce mystification.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16370, f. 281-282
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « emploier ».
Bruxelles, 5 avril 1852, lundi matin, 11 h. ½
J’attends Suzanne avec impatience pour savoir comment tu as passé la nuit et quel effet produit le fameux remède sur ta douleur de cœur. Je suis payée pour n’y avoir pas une confiance aveugle, mais s’il te soulage et s’il te guérit, je suis prête à lui rendre toute justice et à proclamer Yvan le premier médecin de Chine et autre CANTON d’Etterbeecka [1]. En attendant, je continue d’être la plus hideuse et la plus malheureuse des femmes, car je souffre tout ce qu’on peut souffrir. Si je pensais que sortir me fasse du bien je sortirais tout de suite après déjeuner. Mais je suis si monstrueuse que je crains d’ameuter tous les chiens flamands et puis je souffre tant que je redoute toute espèce de mouvement. Il serait très possible que je me couchasse tout à l’heure. Depuis le masque Künckel [2] je n’avais pas tant souffert et encore je ne sais pas si la tête était aussi malade qu’aujourd’hui. Décidément Docteur Yvan vous êtes un maladroit pour rester dans les formes parlementaires. Mais c’est assez parlé de mes maux. Revenons aux tiens, mon petit Toto. Si tu m’en croyais tu irais te promener aujourd’hui, non pas ce soir quand le soleil a disparu et qu’il te reste à peine le temps avant le dernier rayon de grimper le haut de la ville en courant. Je dis qu’il faut sortir après ton déjeuner bien tranquillement et puis venir me voir un tout petit moment. D’abord ma gueule en vaut la peine, et puis mon pauvre cœur n’en serait pas autrement fâché. Tâche donc, mon petit Toto de faire cette promenade à deux fins pour votre santé et pour la mienne et puis permettez-moi de vous adorer malgré mon effroyable visage.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16370, f. 283-284
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « Eterbeck ».