25 décembre [1841], samedi matin, 11 h. ½
Bonjour cher petit homme bien-aimé, bonjour cher petit Jean de Nivelle qui s’en va quand on l’appelle [1], bonjour toi, bonjour vous, baisez-moi. Je ne veux pas vous grogner, ce n’est pas faute de sujet ni d’envie comme vous savez bien, mais parce que je sais que cela vous est égal et que vous vous en fichez comme de deux œufs. Seulement, je vous défends d’être parrain avec quoi et qui ce soit, et de qui et de quoi ce soit ou je me fâcherai pour de bon, c’est-à-dire que j’aurai un véritable et grand chagrin. Parmi les choses qui peuvent le plus m’affliger, celle-là est une des premières et en vérité, je mérite bien que tu me fassesa cette concession, moi qui passe ma vie dans un suppliceb continuel pour t’ôter l’ombre d’une inquiétude et t’épargner la plus petite contrariété. D’ailleurs, ce serait au pont pour toutes les fécondes femelles qui t’entourent [2] et qui toutes auraient les mêmes prétentions, et de jeunes et jolies marraines. Ainsi, de toutes façons vous avez de bonnes raisons pour refuser cette fois-ci. D’ailleurs je ne le veux pas, ceci c’est plus fort que moi. Je ne peux pas supporter que cette méchante bas-bleu coquette établisse un lien de commérage entre vous et elle. Je ne le veux pas, ou plutôt, mon Toto, je t’en prie, ne me fais pas ce véritable chagrin de cœur. J’espère que lorsque je te verrai tantôt, tu m’apprendras que tu as refusé l’honneur de donner des gants blancs, des bouquets et des bonbons à Madame Jal et l’insigne bonheur de faire un septième enfant à l’accouchée.
En attendant, je te désire et je t’aime. Tu devrais bien venir me baiser avant d’aller à ta bibliothèque, je trouverais la journée moins longue et moins triste. Je t’aime du fond de l’âme.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 245-246
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « fasse ».
b) « suplice ».
25 décembre [1841], samedi soir, 3 h. ¼
Je vous attends toujours, mon bien-aimé, tandis que peut-être vous faites le joli cœur avec MARIE, comme vous appelez familièrement la femme de cet imbécilea de macaque que j’appelle COCU, moi, et qui l’est par la grâce de Dieu, de sa femme et de ses amis. Si j’en étais bien sûre, je regarderais comme un devoir à moi d’aller vous aider à faire les honneurs de vous-même, malheureusement je ne peux que deviner la chose sans être bien sûre du moment. Cependant, je vous engage à ne pas trop vous fier à ma bonnasserie, dans l’intérêt de la susdite POISON et dans le vôtre.
Il pleut bien fort dans ce moment-ci, ce qui m’empêchera de vous prier de me faire sortir ce soir. Il est probable qu’en l’honneur de la fête de Noël, vous me laisserez plus seule et plus délaissée que jamais. Enfin voilà, je L’AI VOULU, je n’ai plus le droit de me plaindre. Ce sera bien assez de le faire si, comme je le crains, vous vous laissez paumer par cette toupie [3] de femme que je déteste et qui me le rend bien.
En attendant, je suis bien triste et bien mouzon, pour très peu de chose j’enverrais tout au diable et moi-même avec. Voilà de bonnes dispositions pour un jour de Noël, mais je n’en peux pas avoir d’autre. Ce serait à vous à m’en faire changer si vous m’aimiez seulement le demi quart de ce que je vous aime, mais je prêche dans le désert et je vous aime de même.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16347, f. 247-248
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « imbécille ».