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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 décembre [1841], samedi, midi ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon pauvre amour. Comment vas-tu ce matin ? Moi je t’aime, voilà le bulletin de ma santé. Je t’écris à l’heure de ma pendule qui avance de plus d’une heure [1]. Du reste, le temps est bien beau et vous fait venir la promenade à la bouche et dans les jambes. Cependant, je sais bien que ce n’est pas pour moi que le soleil chauffe et reluit, je le sais et je ne m’y résigne pas. Au contraire, j’ai plus que jamais envie de jouer des jambes avec vous et plus que jamais besoin de bonheur avec vous. Si je n’en ai pas, ce n’est pas faute de le demander et de le désirer mais j’ai beau vous prier et vous supplier, vous êtes sourd comme un pot et sensible comme Jacquot. Taisez-vous, vous devriez rougir de votre conduite envers moi. Taisez-vous, c’est ce que vous avez de mieux à faire.
Quand vous verrai-je, Toto ? J’ai bien besoin de vous voir et de baiser votre ATROCE farimousse. Ne me faites pas languir jusqu’à ce soir. Tâchez aussi de me mener jusque chez Barbedienne. Qu’est-ce que cela vous fait de m’y conduire puisque vous N’ENTREREZ PAS ? Et vous me rendriez un très grand service dont je vous saurais gré toute ma vie [2]. À propos, vous savez que je n’ai plus que 20 et trois quarts de jours pour avoir ce que vous SAVEZ pour ce que vous savez. Nous devons tous les deux n’être pas fort réservésa [3], vous sur le papier, et moi dans mon âme [4]. En attendant que ces affreux vingt jours soient TIRÉS, je vous aime comme une dératée et je vous désire de même. Et puis, baisez-moi et aimez-moi ou LA MORT. Je vous attends, attendrai-je encore longtemps ? Dépêchez-vous donc un peu, vieux Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 199-200
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « réservez ».


11 décembre [1841], samedi soir, 5 h. ¼

J’attends, mon Toto, j’attends toujours et probablement j’attendrai longtemps encore. Ceci est peu récréatif et m’ennuie plus que je ne puis dire. Je ne peux pas me figurer, quelque occupation que vous ayez, que depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre, quels que soienta le jour, le temps et l’heure, vous ne trouviez pas un seul moment pour me faire sortir. En six semaines, je suis sortie une fois par la pluie le soir pour me réfugier dans un hideux théâtre. Tout ceci n’est rien moins que drôle, n’est rien moins que bon pour la santé et est tout à fait décourageant pour l’amour. Je voudrais m’empêcher de vous dire tout ça mais cela sort malgré moi de ma tête qui souffre et de mon cœur qui est triste. Je vous aime, Toto, mais cela vous est si égal maintenant que vous donneriez volontiers ma personne et mon amour pour n’avoir plus à vous occuperb de moi, n’est-ce pas, mon Toto ? Dites-le franchement et peut-être ne vous ennuierai-je plus longtemps.
Il a fait un temps ravissant aujourd’hui et il en fait encore un très beau ce soir. Où êtes-vous, que faites-vous ? À qui pensez-vous et qui aimez-vous ? Voilà ce qui m’occupe jour et nuit sans que ma curiosité soit jamais satisfaite. Enfin c’est comme ça. Je l’ai voulu GEORGES Dandine et je l’ai, il ne faut donc pas me plaindre [5]. Tant pire pour moi. Je vous aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16347, f. 201-202
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « quelque soit ».
b) « occupé ».

Notes

[1C’est peut-être un choix de Juliette Drouet (il s’agit parfois d’une heure ou de trois quarts d’heure), puisqu’elle le rappelle à de nombreuses reprises, et ce depuis plusieurs années (voir les lettres du 21 décembre 1840, 21 et 22 janvier, 22 et 27 mars 1841).

[2Juliette a fait fondre par Ferdinand Barbedienne un buste de Hugo qu’elle a enfin reçu le 29 novembre. Cependant, elle attend aussi de lui un médaillon contenant le portrait de son amant, mais le 20 novembre, elle redoutait qu’il ne fasse banqueroute. Elle demandait donc déjà instamment à Hugo de la mener à la fonderie.

[3Citation du Laquais à Don César dans Ruy Blas, Acte IV, Scène 3 : « Le Laquais : Cet argent, – voilà ce qu’il faut que j’ajoute, /– Vient de qui vous savez pour ce que vous savez. / Don César, satisfait de l’explication : Ah ! / Le Laquais : Nous devons, tous deux, être fort réservés. / Chut ! / Don César : Chut !!! – cet argent vient... – la phrase est magnifique ! / Redites-la-moi donc. / Le Laquais : Cet argent... / Don César : Tout s’explique ! / Me vient de qui je sais... / Le Laquais : Pour ce que vous savez. / Nous devons... / Don César : Tous les deux !!! / Le Laquais : Être fort réservés ».

[4À l’occasion de la nouvelle année, Hugo écrit systématiquement à Juliette une lettre qu’elle range d’ordinaire précieusement dans le Livre rouge.

[5Dans son monologue de l’Acte I, scène 9, le George Dandin de Molière, dans la pièce homonyme (1669), se dit à lui-même, ayant été l’artisan de son propre malheur : « Vous l’avez voulu ; vous l’avez voulu, George Dandin, vous l’avez voulu ; cela sied fort bien, et vous voilà ajusté comme il faut : vous avez justement ce que vous méritez. ».

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