Paris, 3 mars [18]72, dimanche soir, 6 h. ½
Mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas mon adoré ? Surtout quand le retard n’a pas dépendu ni de la pensée ni du cœur comme c’est encore mon cas aujourd’hui. J’ai voulu faire mes comptes et lire le feuilleton de ton Charles et l’article de ton petit Victor et me raccommoder pendant qu’il faisait jour. Tout cela m’a menée jusqu’à présent. Que c’est beau et splendide la description de la grand’place de Bruxelles et le portrait de l’hôtel de ville se terminant par ce fil d’air dans une aiguille de lumière. Quant à l’article de Victor il est irrésistiblement convaincant d’un bout à l’autre. Je n’ai pas qualité pour le dire mais je le dis d’autant plus que je suis empoignée tout comme si je m’y connaissais. Attrapé ! J’ai fini le compte de février et je te le donnerai ce soir si la juxtaposition de Théophile Gautier et de Catulle Mendès peut se faire demain [1]. Cela est nécessaire pour mes affaires de ménage. En attendant je te jette à la tête mon cœur, mon âme bouci boula [2] comme au loto.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 62
Transcription de Guy Rosa