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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 juillet [1841], mercredi matin, 9 h. ¾

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon bon petit homme chéri. Comment vas-tu ce matin et comment m’aimes-tu ? Est-ce que tu as encore à t’occuper de ton procès aujourd’hui [1] ? Dieu merci rien ne t’aura manqué cette année-ci : candidature, réception, travaux et procès, tout se succède avec une rapidité décourageante pour moi qui n’attend de bonheur que de ton loisir. Il n’est même pas question de notre pauvre voyage, ce qui ne me présage rien de bon car voici l’époque qui s’avance et je ne vois pas que tu te disposes à cela. D’ailleurs, tu ne m’en parlesa pas quoique tu saches le courage et la joie que me donnerait le seul espoir d’être bientôt entièrement avec toi loin de Paris [2]. Enfin, mon pauvre ange chéri, cette année me paraît ne devoir pas mieux finir qu’elle n’a commencéb. J’en suis triste, triste en attendant que j’en sois au désespoir car si ce que je crains arrive je ne m’en consolerai pas.
Tu m’avais promis de me donner à copier, mon adoré, est-ce que tu l’as oublié, ou bien est-ce que la scélérate de Didine me coupe encore l’herbe sous le pied [3] ? Il ne me manquerait plus que cela pour m’exaspérer. Tâchez un peu de m’apporter à copier tout de suite ou je fais une invasion dans votre jardin et je fais prisonniers tous les gipons [4] qui me tombent sous la main. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 73-74
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « parle ».
b) « commencée ».


21 juillet [1841], mercredi soir, 6 h. ½

Le tout petit moment que tu viens de me donner, mon amour, suffit pour ôter tout le noir et toute la tristesse de ma journée. Je t’aime tant, mon adoré, que de te voir une seconde seulement, cela me fait du bien au cœur et à l’âme.
J’espère que ces gens du tribunal NOUS rendronta justice et que NOUS gagnerons notre procès. Ce que je voudrais de tout mon cœur, c’est que mon pauvre Charlot ait un bon gros prix au concours général. Je vais prier le bon Dieu pour lui [5]. Quant à mon cher petit Toto [6], il paraît que c’est une affaire toisée et qu’il ne pourra pas en avoir cette année mais je compte sur lui l’année prochaine. Ces pauvres enfants sont les miens aussi car je les aime comme s’ils étaient à moi et je suis heureuse de les savoir heureux. La petite lueur d’espoir que tu m’as donnéeb tout à l’heure pour notre voyage me met joliment du baumec dans mes épinards. Depuis ce moment-là je vois tout en rose, même l’ondée qui va crever sur les bosses des Parisiens tout à l’heure. Pourvu que ce ne soit pas sur la tienne, je M’IMPORTE peu sur qui elle CRÈVERA.
Je t’aime Toto chéri, je t’aime mon adoré. Tâche de venir bientôt. Je suis si heureuse quand tu es là, je suis si joyeuse et si ravie de regarder seulement le petit bout de ton petit pied que tu devrais tâcher de ne me quitter jamais.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16346, f. 75-76
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « rendrons ».
b) « donné ».
c) « beaume ».

Notes

[1Lucrezia Borgia, l’opéra de Donizetti adapté de Lucrèce Borgia, créé à Milan en 1833, est joué à Paris au Théâtre-Italien à la fin du mois d’octobre 1840. Le livret, traduit en français par Étienne Monnier, porte le même nom que la pièce de Hugo sans qu’on lui ait demandé la moindre autorisation. Le poète, soucieux de conserver le genre dramatique originel de l’œuvre, fait donc interdire ces représentations en février 1841, après avoir refusé à Monnier le droit de publier sa traduction en français du livret avec la musique de Donizetti. Mais ce dernier passe outre et Hugo menace les directeurs de théâtres parisiens et de province d’un procès en contrefaçon s’ils représentent l’opéra, en vain. Par conséquent le poète, soutenu par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, porte plainte en juillet avec son avocat Paillard de Villeneuve. Hugo va gagner son procès et après l’appel, le jugement définitif sera prononcé le 5 novembre 1841. La traduction sera interdite et le poète aura même le droit de la détruire à chaque fois qu’il la rencontrera.

[2Depuis 1834, Hugo et Juliette ont pris l’habitude d’effectuer un voyage de quelques semaines ou mois pendant l’été et le printemps. Malheureusement, en 1841, Hugo est trop occupé par la rédaction monumentale du Rhin, et leur voyage annuel n’aura pas lieu, au grand désespoir de Juliette.

[3Juliette a l’habitude de recopier les œuvres du poète avant qu’elles ne soient proposées aux éditeurs. C’est l’un de ses plus grands plaisirs et l’une de ses seules distractions, mais elle est dans cette tâche en concurrence affectueuse avec Léopoldine. Or, depuis quelques jours, Hugo lui a donné à copier la première partie de la lettre XX du tome II, « De Lorch à Bingen », du 27 août 1838.

[4Adèle Hugo possède un pigeon baptisé Gipon, sans doute par métathèse. (Léopoldine Hugo, Correspondance, édition critique par Pierre Georgel, Paris, Klincksieck, « Bibliothèque du XIXe siècle », 1976, p. 285-286).

[5Charles Hugo a obtenu le premier prix de thème latin au concours général en 1840 et il est en train de préparer celui de l’été 1841. La distribution des récompenses se fera le 16 août mais malheureusement sans succès pour Charles. Néanmoins, Le Journal général de l’instruction publique et des cours scientifiques et littéraires du samedi 21 août 1841 (volume 10, no 67) mentionne que le 17 août, « les deux fils de M. Victor Hugo ont obtenu plusieurs prix et d’autres nominations » dans leur établissement, le Collège royal Charlemagne.

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