30 mai [1841], dimanche matin, [10/11 ?] h.
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon amour chéri. Comment vas-tu ce matin [1] ? Moi je t’aime, voilà le bulletin de ma santé. Si tu veux que je sois gaie et heureuse il faut venir me voir très tôt et m’aimer. Je voudrais bien savoir si ta réception est pour sûra jeudi prochain pour faire blanchir mon corset d’ici là [2]. J’enverrai aussi Suzanne chez la marchande de modes pour mettre d’autres brides à mon chapeau, ce qui ne m’empêchera pas d’avoir l’air d’une pauvre repasseuse endimanchée [3]. Mais si vous m’aimez ça m’est égal. D’ailleurs je vous surveillerai bien, soyez tranquille.
Si tu avais eu les billets aujourd’hui, tu aurais pu me donnerb tout de suite celui de M. Pasquier et Mme Pierceau l’aurait porté chez Mme Krafft en même temps que son livre de messe [4]. Quant à celui de Desmousseauxc et de la mère Pierceau il n’y faut pas compter car il me paraît impossible que tu puissesd les leur donner [5] ? Je ne comprends même pas qu’avec si peu de billets tu puissesd faire face à toutes les exigencese de ta position [6]. Je ne parle pas de celles des crétins stupides et des Macaires [7] de toutes sortes qui t’écrivent pour le même sujet, mais de celles de ta famille et de tes amis les plus près. Quant à moi il m’en faut au moins un ou la mort, voilà mon ultimatumf ! Je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 203-204
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « sûre ».
b) « donne ».
c) « Démousseau ».
d) « puisse ».
e) « exigeances ».
f) Le mot est souligné d’un trait très épais.
30 mai [1841], dimanche après-midi, 1 h.
Je me suis aperçuea tantôt, mon adoré, que vous n’aviez pas emporté ma lettre cette nuit et cela m’a fait de la peine. Non pas par amour-propre car il y a plutôt courage et humilité à moi à t’écrire tous les jours des choses qui n’ontb ni queues ni têtes mais parce que c’est la preuve évidente que tu ne pensais pas à moi dans ce moment-là. Pardon, mon cher adoré, c’est ridicule à moi de te faire ce reproche dans un moment où tu as tant et tant de choses à penser. Juju est une bête, ia, ia monsire matame, il est son sarme. J’espère que pour me récompenser vous me mettrez à côté de Mme Picardet [8] le jour de votre réception ? C’est bien le moins que je voie de mes yeux les beautés découvertes de la susdite puisque je vous permets de voir ses beautés cachées. Ia, ia pôlisson, je t’en ficherai des beautés, prends garde que ça ne te tombe sur le pied. Tu es condamné à vie de toutes les façons à m’aimer et à me trouver belle à toute heure du jour et de la nuit. Arrange-toi comme tu pourras mais c’est tout ce que je peux faire pour toi. Je vous aime vous, tâchez de m’en rendre un peu que je ne sois pas volée et flouée comme un pauvre dindonneau que je pourrais être si vous ne m’aimiez pas.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 205-206
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « apperçu ».
b) « non ».