16 mai [1841], dimanche soir, 11 h. ½ [1]
Je n’avais pas pu t’écrire tantôt, mon bien-aimé, parce que je n’ai eu que le temps bien juste de me débarbouiller et de m’habiller avant l’arrivée de ces dames [2]. Depuis qu’elles sont parties je me suis déshabillée et FLUCTIONNÉE [3] et puis ma pendule avance d’une demi-heure [4].
J’espère et je désire, mon Toto, que tu ne me laissesa pas achever cette grande lettre, mon amour, que j’ai commencéeb à l’envers comme une grande bête que je suis. J’aime mieux te voir que t’écrire, te baiser que de gribouiller du noir sur du blanc et te caresser que de mettre des stupidités les unes au bout des autres. Voilà mon opinion et mon goût, PICARDET [5]. Avec ça que vous en êtes bien affamé, comme les chiens de coups de triques, de mes griffonnages ; vous faites bonne mine à mauvais jeu [6] mais dès que vous trouvez le plus léger prétexte, la plus petite raison de ne pas les lire, vous lesc saisissezd avec enthousiasme. Bigartet, et si vous étiez franc vous en conviendriez.
Je ne sais pas pourquoi je me figure que votre monde est à la campagne et que c’est pour ça que vous ne revenez plus dans la journée une fois que vous êtes parti [7]. J’irai demain m’en informer moi-même, je ne vous prends pas en traître. Je veux savoir tout ce qui se passe chez vous comme vous avez le droit de savoir tout ce qui [se] fait, see dit et se pense chez moi. Donnant donnant, voilà ma devise.
Je t’aime, m’aimes-tu ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 153-154
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « laisse ».
b) « commencé ».
c) « le ».
d) « saississez ».
e) « ce ».