19 juin [1841], samedi matin, 10 h. ½
Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme chéri. Pourquoi que vous n’êtes pas revenu cette nuit ? C’est pourtant bien charmant et je ne m’en lasse pas. Au contraire, plus je vous vois, plus je vous ai et plus je vous désire et plus je vous aime. Vous auriez dû venir ce matin, mon amour, je vous en veux de ne l’avoir pas fait. Non, mon adoré, je ne t’en veux pas, je nous plains, toi et moi, car il est certain que tu auras passé toute la nuit à travailler tandis que je pensais à toi et que je te regrettais. Sois béni, mon cher bien-aimé, sois heureux dans tout ce que tu aimes. Moi je t’adore.
J’espère, mon bon Toto, que vous n’avez pas à vous plaindre de moi. Cette nuit j’ai joliment bien pas dormi pendant que vous corrigiez vos épreuves [1]. Hein, qu’en dites-vous, je suis une femme de parole ? Mais c’est qu’en vérité c’était moi que j’attrapaisa et de rage il m’arrivait de n’en plus dormir le reste de la nuit. Je ne vous vois pas assez mon content pour fermer les yeux comme une marmotte engourdie quand vous êtes auprès de moi.
Dites donc, je me fiche de votre ami moi, à pied, à cheval, à table et au lit. Je m’en fiche supérieurement [2]. Quel esprit ! Il ne faut rien moins que la sonde du puits artésienb de Grenelle [3], qui a cinq fois la hauteur du dôme des Invalides, pour rencontrer le sens commun dans ces phrases rocailleuses, glaiseusesc, chisteuses et plâtreuses. Quel le diable, dont il a pris le déguisement, l’emporte et qu’il le fasse rôtir quelques bons nombres d’années comme un oison qu’il est.
Je vous aime vous, mais je me fiche de votre ami. Prenez-en votre parti et baisez-moi bien vite.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 265-266
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « attrappais ».
b) « artésiens ».
c) « glaizeuses ».
19 juin [1841], samedi soir, 8 h. ½
Je ne suis pas très contente de vous, MON CHER AMI, ça n’est pas le fait d’un honnête homme ni d’un homme bien élevé, encore moins celui d’un amoureux, de venir dîner comme un [4] et de s’en aller tout de suite après sans prendre le temps de dire ou de faire vos GRÂCES. Je vous trouve un parfait cochon, un complet goujat, un superbe scélérat qui avez tous les vices de la nature, y compris celui de ne pas m’aimer. Taisez-vous, monstre.
Nous verrons combien de temps vous allez me cacher qu’on a loué une campagne, qu’on y est installé et que vous êtes libre de votre temps et de vos actions [5]. J’ai déjà obtenu ce soir un quart de révélation, je verrai combien de temps vous mettrez à la faire touta entière. En attendant soyez sûr que je vous surveille et que vos trahisons ne resteront pas impunies. PRENEZ GARDE À VOUS. Surtout revenez cette nuit si vous ne voulez pas que je vous haïsse et que je vous méprise comme le dernier des hommes. Tâchez aussi de revenir tout à l’heure, entendez-vous PICARDET PICARDO PICARDINI [6]. Je vais me coucher en vous attendant car je n’ai rien de mieux à faire puisque je suis sûre que vous ne me ferez pas sortir. Baisez-moi méchant homme, baisez-moi vilain [homme ?].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16345, f. 267-268
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « toute ».