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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mars 1841

21 mars [1841], dimanche matin, 11 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon Toto chéri, bonjour mon pauvre amour adoré. Tu n’es pas revenu cette nuit malgré la nécessité de changer tes bottes délabrées contre des bottes neuves, cela ne m’étonne pas car je sais combien il t’est difficile de venir deux fois de suite déjeuner chez moi. Je sais que tu travailles, mon pauvre bien-aimé, et que ton temps est précieux mais les quelques heures de repos que tu prendrais à côté de moi ne te feraient pas faute et j’en profiterais chemin faisant.
Tu m’as trouvéea cette nuit bien laide, bien maussade et bien insipide. Je n’étais que souffrante et que triste de ne t’avoir pas vu depuis le tantôt. Si je ne t’aimais pas je serais gaie et heureuse et je ne me plaindrais pas d’un malheur dont je ne m’apercevraisb seulement pas. Si vous m’aimiez de tout votre cœur vous sauriez cela et loin de vous plaindre de ma maussaderie vous en seriez très content. Taisez-vous, vieux sorcier, vous n’avez pas la parole. Voime, voime, vous aviez entendu du bruit cette nuit dans ma cuisine. Ia, ia monsire matame, il est son sarme. Baisez-moi, vieux bêtac, vous voyez bien que ça ne m’a pas fâchéed, au contraire. D’ailleurs, j’en ferais tout autant et encore pire si j’avais la liberté d’aller chez vous, ainsi ne vous gênez pas, je vous le permets. Je vous permets aussi de venir très tôt et de ne vous en aller jamais mais je crains que [vous] n’usiez pas de la permission.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 263-264
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « trouvé ».
b) « appercevrais ».
c) « bêtat ».
d) « fâché ».


21 mars [1841], dimanche soir, 5 h.

Où es-tu, mon cher adoré, pour que je t’envoie mon âme ? Je t’aime mon Toto chéri, je t’adore mon petit homme bien-aimé. Ne fais pas attention à mes grogneries si ce n’est pour les traduire en bon et vrai amour car elles n’expriment pas autre chose, même dans les moments les plus tristes et les plus méchants. Si je t’aimais moins je serais très aimable, je t’assure. Cela me serait aussi facile qu’à d’autresa mais le moyen d’être également gaie et indifférente quand le cœur souffre de chaque minute de retard qui sépare de soi l’homme qu’on adore. Je ne sais pas comment je t’explique cela, très mal à coup sûr, mais ce que je veux dire tu le devines si tu m’aimes. Jour Toto, jour mon petit o. J’ai bien peur que vous ne vous enrhumiez de ce vilain temps mouillé et froid. Pauvre enfant, je voudrais pouvoir mettre tes bottes neuves assez à propos pour qu’elles ne te blessent plus. Il est absurde que je ne puisse pas même te rendre ce petit service ; décidément, la femme est un être peu perfectionné et qui demande d’être revue et CORRIGÉE par son inventeur, le Père Éternel. J’en conviens.
En attendant, je serai joliment prête demain, il suffit que j’aie quelque chance de sortir avec toi pour que je me tienne prête et sous les armes [1] dès quatre heures du matin s’il le faut. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16344, f. 265-266
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « d’autre ».

Notes

[1Se dit à l’origine d’une troupe qui a pris les armes pour faire quelque service ou pour rendre quelque honneur puis, au sens figuré et familier, d’une femme qui emploie tous ses moyens de plaire (Dictionnaire de l’Académie française de 1877).

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