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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 avril [1841], jeudi après-midi, 2 h. ½

Il est possible, mon Toto, que l’excessif amour que j’ai me donne la berlue mais ce qui est sûr c’est qu’il me semble que je te pèse sur le cœur. Je sais bien que tu es toujours aussi bon et aussi dévoué mais je dirai avec Gilbert que toute cette bonté, tout ce dévouement ne me disenta pas que tu m’aimes et c’est ton amour dont j’ai besoin [1]. C’est ton amour que je veux, le reste n’est rien si tu ne m’aimes pas comme je désire être aimée, comme tu m’as aimée autrefois. Si je me trompe cela vient probablement de l’amour intérieur que j’ai pour toi, qui me consume le cœur et me brûle les yeux au point de ne plus voir ce qui se passe en toi. Si c’est ainsi je te demande pardon à deux genoux et je baise tes chers petits pieds à travers tes grosses BAUTTES défoncées.
Suzanne est allée aux contributions, tout à l’heure je la laisserai aller chez sa tante car, puisque je ne m’absente jamais de chez moi, il faut bien que je lui accorde quelques moments de temps en temps pour faire ses affaires et voir ses parents.
J’ai reçu une lettre assez ridicule de Claire qui se plaint queb je ne lui ai pas répondu, il paraît que ma lettre s’est croisée avec la sienne. Du reste voilà toutes les nouvelles d’aujourd’hui, ajoutes-y pour les compléter que je t’aime de toute mon âme et que je te désire de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16345, f. 105-106
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « dis ».
b) « de que ».

Notes

[1Référence à une réplique du personnage de Gilbert dans Marie Tudor de Hugo, 1833, Journée 1, Scène 3 : « GILBERT : Jane ! M’aimes-tu ? / JANE : Oh ! Je vous dois tout, Gilbert ! Je le sais, quoique vous me l’ayez caché long-temps. Toute petite, presque au berceau, j’ai été abandonnée par mes parens, vous m’avez prise. Depuis seize ans, votre bras a travaillé pour moi comme celui d’un père, vos yeux ont veillé sur moi comme ceux d’une mère. Qu’est-ce que je serais sans vous, mon dieu ! Tout ce que j’ai, vous me l’avez donné, tout ce que je suis, vous l’avez fait. / GILBERT : Jane ! M’aimes-tu ? / JANE : Quel dévoûment que le vôtre, Gilbert ! Vous travaillez nuit et jour pour moi, vous vous brûlez les yeux, vous vous tuez. Tenez, voilà encore que vous passez la nuit aujourd’hui. Et jamais un reproche, jamais une dureté, jamais une colère. Vous si pauvre ! Jusqu’à mes petites coquetteries de femme, vous en avez pitié, vous les satisfaites. Gilbert, je ne songe à vous que les larmes aux yeux. Vous avez quelquefois manqué de pain, je n’ai jamais manqué de rubans. / GILBERT : Jane ! M’aimes-tu ? / JANE : Gilbert, je voudrais baiser vos pieds ! / GILBERT : M’aimes-tu ? M’aimes-tu ? Oh ! Tout cela ne me dit pas que tu m’aimes. C’est de ce mot là que j’ai besoin, Jane ! de la reconnaissance, toujours de la reconnaissance ! Oh ! Je la foule aux pieds, la reconnaissance ! Je veux de l’amour, ou rien ».

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