15 mars [1841], lundi matin, 11 h. ½
Bonjour mon cher adoré, bonjour mon Toto chéri. Je ne me suis pas levée de bonne heure puisque l’ouvrière [1] n’est pas venue et que je le savais car j’étais réveillée avant huit heures, dans le cas où elle serait venue, pour me lever et lui faire tailler la robe devant moi. Je viens d’écrire à Mme Krafft pour la prévenir de ce qui arrive et lui demander un délai de deux jours si cela n’est pas trop indiscret [2]. Je suis très contrariée que cette vilaine fille ait jugé à propos de faire le lundi cette semaine [3]. Enfin, je n’y peux rien et ce n’est pas ma faute.
Je n’ai pas encore reçu de lettre de Mme Pierceau, je ne sais pas si elle accouchée [4]. J’attendsa Penaillon de pied ferme car j’ai l’argent tout prêt, grâce à un pauvre adoré que je connais et que j’aime de toute mon âme.
Mon écorchure va mieux quoique ni charpie ni linge n’ait voulu tenir dessus mais je crois que cela se cicatrise un peu [5]. Il est probable que je te demanderai à sortir. Voime, voime, mais tu ne seras pas si bête que d’y consentir, cette fois-ci il n’y a pas de danger. Je te connais : « Juju, Juju, regarde-moi, Juju, veux-tu me regarder ou je te chatouille… han…han han, regardeb comme je suis maigre depuis quinze jours [6] ; tiens il y a ça de trop… han… large à mon paletot, tu ne peux pas dire le contraire » [7].
Ia, ia, il est son sarme. Jour Toto, jour mon pauvre petit maigrechine [8].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 241-242
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « attend ».
b) « regardes ».
15 mars [1841], lundi soir, 4 h. ¼
J’ai payé Penaillon tantôt, mon amour ; elle doit revenir jeudi de cette semaine pour de la toile à caleçona et pour de la doublure en soie au cas où tu en voudrais pour doubler ta robe de chambre. J’ai un si gros mal de tête qu’il m’a été impossible de songer à me coiffer. Du reste, mon écorchure est toujours dans le même état et je ne peux rien faire tenir dessus ; aussi je ne m’en occupe plus, il sera toujours temps lorsque la gangrèneb y sera d’avoir recours à la fameuse pommadec Nicolletd [9]. Jusque là je ne m’en soucie plus et je méprise la douleur, voilà.
Mon Dieu, quel beau temps et comme je serais heureuse d’errer avec toi n’importe où mais le soleil ne reluit ni ne chauffe pour moi. C’est bien assez d’une cheminée qui fume [10], ma foi, sans avoir encore du soleil. Je ne suis pas gênée moi, il paraît. Ia, ia, monsire matame.
Je vais passer votre étoffe à la mie de pain et la repasser au jour avec toute l’adresse dont je suis capable, après ça je m’en lave les mains, ça ne me regarde plus. Je vous aime, entendez-vous.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 243-244
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « calçon ».
b) « gangrenne ».
c) « pomade ».
d) Dans sa lettre de la veille au soir, Juliette écrit « Nicolet ».