10 janvier [1841], dimanche matin, 8 h.
Bonjour mon cher bien-aimé, pourquoi n’es-tu pas venu ce matin, mon adoré ? Tu me l’avais si bien promis hier au soir. Les visites [1] doivent cependant toucher à leur fin et d’ailleurs, le matin on n’en fait ni on n’en reçoit et le dimanche est un jour de repos, même pour ce genre de travail. Je ne suis pas contente de vous, mon amour, entendez-vous ?
J’ai très peu et très mal dormi toute la nuit. Mon souper a été laborieux et me pèse encore sur l’estomac comme une mauvaise action. Voilà ce que c’est que la geulardise, je suis punie par où j’ai péché. C’est encore votre faute, scélérat, si je ne vous avais pas vu dévorer de si bon appétit, je n’aurais pas eu la tentation de vous imiter. Je vous dis que vous serez cause de ma mort dans un temps donné. Si je n’étais pas si en colère contre vous, je vous dirais que vos deux bonhommes [2] font un effet charmant sur ma cheminée et que je leur lance un long coup d’œil à la dérobée pendant que je vous écris, ce qui doit les flatter. L’épée [3] fait encore mieux au jour si c’est possible et L’ACADÉMICIEN est superbe au grand jour. Quel dommage que vous ne soyez qu’un misérable avec tout ça et que je sois forcée de rentrer dans le fond de mon gosier les paroles de remerciements et d’amour qui m’étranglent tant elles sont pressées de sortir.
Taisez-vous, scélérat, vous n’avez pas la parole, c’est à moi de vous en dégoiser de toutes les couleurs car vous m’avez poussée à bout sur tous les points. TAISEZ-VOUS ! Je ne vous embrasse pas, je vous mords. Je ne vous caresse pas, je vous mange. Je ne vous aime pas, je vous adore. Taisez-vous !
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 27-28
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
10 janvier [1841], dimanche soir, 3 h. ½
Voici enfin le dégel, mon amour, nous allons voir ce que vous trouverez maintenant pour me faire rester chez moi.
Je n’ai pas encore vu l’homme de Gérard, ce qui est bien extraordinaire de leur part. En revanche, j’ai eu Mignon [4] et j’ai envoyé à Mme Guérard sesa 10 F. [5]. Jourdain n’est pas venu non plus et la pauvre Résisieux [6] est déménagée. Voilà les nouvelles jusqu’à présent.
Je n’attends personne par le temps qu’il fait, ainsi me voilà plus seule que jamais car j’avais autrefois la chance d’une visite de Résisieux et maintenant il n’y a plus à y songer. Je ne vous dis pas cela pour vous attendrir, vieux dur à cuire que vous êtes, mais parce que c’est l’affreuse et triste vérité. Voilà bientôt deux mois et demi que nous sommes revenus de voyage [7] et je suis sortie deux fois. Est-ce vrai ? Je ne me plaindrais pas de ma claustration si vous la partagiez avec moi, sinon entièrement, au moins la moitié, mais pas du tout. C’est à grand peine que je vous vois une heure par nuit. Est-ce vrai encore ? Répondez, scélérat. Mais si vous m’aimez, je vous pardonne à la condition que vous viendrez cette nuit coucher avec moi. Si non, non, je garde ma fureur. Baisez-moi toujours en attendant et ne faites pas le joli cœur auprès des femmes, vieux académicien. Je vous aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 29-30
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « ces ».