3 janvier [1841], dimanche après-midi, 2 h. ¼
Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme. Je crois que je vais mieux, cependant je n’en suis pas encore sûre car je n’ai pas essayé mes entrailles et que je suis encore couchée, ce qui endort ces espèces de maux avant de les guérir. Je vais prendre des lavements tout à l’heure et remettre des cataplasmes. Ce soir, j’essaieraia à manger un potage et demain je tâcherai d’être guérie [1] Je viens d’écrire un petit bout de lettre à Mme Krafft à l’occasion du jour de l’an. Je ne l’enverrai à la poste que lorsque tu l’auras lue.
Ma pauvre Claire est auprès de mon lit [2], toute résignée et toute bonne. Elle y a d’autant plus de mérite que l’époque n’est vraiment pas bien gracieuse pour elle.
C’est dans quatre jours que tu seras nommé à l’Académieb [3]. Pour la première fois je commence à y croire, nous verrons si mes pressentiments se réalisent pour le bien comme pour le mal.
J’ai un mal de tête fou, je ne sais vraiment pas ce que je t’écris. Je sais que je t’aime et que je ne te vois pas assez, je sais aussi que depuis trois jours tu n’as pas l’air de m’aimer beaucoup et que le PALETOT neuf [4] l’emporte sur un baiser que tu pourrais ne me donner qu’en risquant un [atome de duvet ?] sur ses brillantes couleurs. Enfin, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 5-6
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « essairai ».
b) « Accadémie ».
3 janvier [1841], dimanche soir, 9 h.
J’avais si mal à la tête, mon cher bien-aimé, que j’ai attendu jusqu’à présent pour t’écrire mais, comme je vois que c’est un parti pris et que j’attendrais indéfiniment qu’il se passât, je mets la MAIN À LA PLUME pour te dire une chose que tu sais aussi bien que moi : c’est je t’aime. Tu n’es pas très aimable ni très empressé auprès de moi, mon Toto. Je ne sais pas à quoi cela tient mais en vérité il est impossible de te prodiguer moins que tu ne le fais pour une pauvre femme qui te donne sa vie, son cœur, son âme avec autant de libéralité. Je ne comprends pas que tu ne sentes pas tout ce qu’il y a d’injuste et de cruel dans cette absence si prolongée dans des jours comme ceux-ci où la plus pauvre couturière a son amant avec elle plein de joie et d’empressement. Enfin, c’est comme ça depuis un bout de l’année jusqu’à l’autre et j’aurais tort de me plaindre depuis huit ans bientôt que cela dure [5]. N’y pensons plus, je suis une pauvre folle et voilà tout.
J’ai eu la visite des petites Besancenot ce soir, elles viennent de s’en aller [6]. Je souffre beaucoup de la tête. Il faut tout le respect que j’ai pour ta volonté pour t’avoir écrit ce soir car je ne peux pas mettre un mot l’un devant l’autre sans en éprouver une grande fatigue. Je t’aime mon Toto. Bonsoir mon ami.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16344, f. 7-8
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette