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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 octobre [1837], samedi matin, 8 h. ¾

Bonjour mon cher bien aimé, bonjour mon petit homme chéri. Avez-vous bien vu la lune cette nuit ? Avez-vous bien fait la cour à la Grande Ourse, la seule des infidélités que j’autorise ? Pendant ce temps moi je vous ai aimé. Je vous ai admiré dans les beaux vers que vous m’avez donnésa [1]. Et je vous réponds que votre astre n’était point du tout éclipsé, jamais il n’avait été plus beau et plus lumineux. Aussi j’auraisb passé ma nuit à l’admirer si je n’avais pas craint de vous tourmenter avec la lumière de ma lampe. Mais je n’y ai pas perdu car dans l’obscurité je le voyais encore mieux. Car vous savez que c’est surtout dans les lieux sombres que l’amour rayonne mieux. J’aurais voulu pouvoir t’écrire hier au soir. J’avais le cœur plein d’amour et d’extase. J’étais au ciel, il m’a fallu attendre jusqu’à aujourd’hui pour m’épancher un peu. Aussi me suis-je levée de bonne heure tant j’avais hâte de le faire. Je vais avoir beaucoup d’embarras et d’ennuis aujourd¹hui, d’une part les tapissiers, de l’autre les maçons qui paraissent devoir se prolonger indéfiniment. Enfin j’espère que tu viendras un petit [coute ?] à mon aide et je m’en réjouis d’avance. Mais si tu ne viens pas, il est probable que je serai fort triste et fort mouzon. Jour mon petit pa, jour. Je t’aime, tu es ma joie, tu es ma vie. Je baise ta chère petite lettre dans ce moment sur tous les mots. Elle est bien belle votre lettre, elle sent bien bon. On dirait que c’est vous en personne. Quel dommage que je ne sache pas assez écrire. Comme je lui riposteraisc à votre magnifique lettre, par une autre dix millions de fois plus belle, si tant est que cela se puisse. Mais vous savez que mon ramage ne ressemble pas à mon amour. Je n’ai qu’un mot
Dans la plume, je t’aime. Qu’un dans le cœur, je t’aime.

Juliette

Collection Anne-Marie Springer
Transcription de Charles Méla

a) « donnés ».
b) « J’aurai ».
c) « rispoterais ».


14 octobre [1837], samedi soir, 7 h.

Voici, quand vous n’êtes pas avec moi, mon cher adoré, le seul bonheur que j’aie, le seul délassement : vous écrire et penser à vous. C’est bien doux et je m’y livre avec frénésie, chose dont vos pauvres beaux yeux se passeraient bien. Avouez que vous avez été sur le point tantôt d’être bien méchant à propos de Mme Guérard. Heureusement que vous vous êtes ravisé à temps et depuis vous avez été ravissant de douceur et de bonté. Tant il y a que je vous adore à l’heure qu’il est et que je voudrais baiser les cordons de vos souliers après m’être débarbouilléea cependant, car je les salirais dans l’état poussiéreux et crasseux où je suis à présent.
Mon Toto je t’aime, mon Toto je t’adore. Mon Toto tu es très beau. Mon Toto tu es trop bon. Mon Toto tu es mon cher petit amant bien aimé. Je voudrais bien te voir avec tes poches pleines comme celles de Bertrand [2], errant et te pavanant devant le beau sexe de tous les quartiers. Ça doit faire un bel effet, je voudrais jouir du coup d’œil [3].
Ce coquin de Manière est bien venu. Quel vilain homme dans toute la force du terme. Cependant j’aurais bien voulu avoir le cœur net de l’affaire en question [4]. C’est bien ennuyeuxa d’être forcé de se servir de pareilb chimpanzé avec l’orthographe [5]. Je me déplais avec mes mains noires et mes cheveux gris de poussière. Je constate l’accident, car sans ça vous auriez le front de l’attribuer à mon grand âge sans respect pour mes cheveux noirs et mes 29 ans [6]. Heureusement que l’extrait de naissance est là. Je le porte toujours sur moi pour confondre les malignités de certaines gens. Dieu merci je suis jeune, très jeune, excessivement jeune. Je vous aime en raison de cela d’une vigoureuse manière. Je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16331, f. 271-272
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « ennuieux ».
b) « pareils ».

Notes

[1Le 12 octobre 1837, Victor écrit pour Juliette le poème « Quand tu me parles de gloire… », qui deviendra la pièce XXIV des Rayons et des Ombres [1840]. Jean Gaudon note les variantes entre la première version, offerte à Juliette, et le poème publié, qui comptera deux strophes supplémentaires (Victor Hugo, Lettres à Juliette Drouet, Fayard [1964], 2001, p. 99.

[2Bertrand, le comparse de Robert Macaire dans la mythique pièce homonyme et dans L’Auberge des Adrets qui l’avait précédée, était indissociable du célèbre costume de gueux-voleur qu’il portait (une houppelande aux énormes poches déformées et toujours pleines, lourdes de leur contenu varié).

[3Il n’est pas impossible que cette image qui réinvente la tenue de Victor Hugo et brosse implicitement son portrait en gueux-séducteur ait stimulé l’imagination du poète en passe d’écrire Ruy Blas  : on reconnaît là un peu de la posture du futur Don César.

[4La visite de l’huissier est peut-être en rapport avec quelque créancier dont Juliette supposait avoir reçu un courrier évoqué dans la lettre de la veille.

[5Allusion à élucider.

[6Juliette se rajeunit de deux ans.

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