Guernesey, 5 décembre [18]63, samedi matin, 8 h. ½
Bonjour, mon grand bien-aimé, bonjour. Je t’ai vu tout à l’heure la serviette au cou et la brosse à dents au poing mais tu ne m’as pas vue, ce qui m’humilie et surtout ce qui me prive d’un éclair de bonheur auquel je suis habituée presque tous les jours quand nos deux regards se rencontrent [illis.] si tu as passé une bonne nuit sans insomnie, comme je l’espère, je suis heureuse et je te souris du fond du cœur. Je ne te parle pas de ma nuit parce que depuis quelques jours je dors comme une marmotte et j’ai toutes les peines du monde à sortir de mon lit. Cette paresse ne durera pas longtemps je l’espère. En attendant [plusieurs mots illisibles] avec joie le moment de collationner. [plusieurs mots illisibles] Collationner est bien le mot de la chose car rien n’est plus nutritif pour l’esprit, pour le cœur et pour l’âme que les RAGOUTS de ton génie dont on n’est jamaisa rassasié quel que soit [illis.] la quantité que tu livres à l’appétit public et [illis.] en particulier. Je te demande pardon de te dévorer avec cette férocité familière mais mon amour a les dents si longues, si longues, qu’il ne peut te mâcher à demi son adoration et son admiration pour toi. Tant pire si cela n’est pas dans les élégances épistolaires. JE N’Y PEUX PAS QUE FAIRE et je te baise à bouche tendue.
J.
BnF, Mss, NAF 16384, f. 273
Transcription de Gérard Pouchain
a) « on est jamais ».