29 septembre [1837], vendredi, 1 h. après-midi.
Je ne me fais pas d’illusion, mon cher petit bien-aimé ; vous voilà parti pour longtemps. Mais le souvenir de la bonne nuit que nous venons de passer et l’extrême bonté dont vous avez fait preuve, tout cela me tiendra en haleine et j’espère pouvoir attendre votre retour sans trop de chagrin noir. Cependant je ne m’engage à rien et même je vous prie de ne pas vous fâcher si mon courage n’est pas aussi héroïque que je le crois à présent.
Tu es donc d’avis mon cher adoré que j’envoie Claire dimanche chez Mme Krafft. Je pense comme toi et je l’enverrai dimanche matin. Je viens d’écrire à Mme Lanvin pour me plaindre d’avoir attendu toute la semaine inutilement et pour la prévenir que je croyais être informée que M. Pradier était à la veille de partir en Italie et qu’il serait urgent de s’entendre avec lui pour la pension de son enfant. J’ai bien de l’inquiétude et de l’ennui de ce côté, hélas !
Si je n’avais pas ton amour qui me tient lieu de tout, il y a longtemps que j’aurais jetéa le manche après la cognée [1]. Mais tu es si bon, toi, si noble, si loyal et si généreux, et je t’aime tant que je m’estime avec raison la plus heureuse et la mieux partagée des femmes.
Jour mon petit pa, jour mon gros to. Vous voyez bien que moi aussi je serai honnête et que je vous rends bien fidèlement la lettre qui vous a manqué hier au soir [2]. Quand je dis qu’elle vous a manqué c’est une manière de parler car vous n’en savez pas le compte et cela vous est encore plus indifférent que le sort de la première perruque de M. Alexandre Dumas. Ce que j’en fais c’est donc pour moi seule, pour ma satisfaction personnelle. C’est encore bien plus beau. Quelle plume ! Tant pis pour vous [3]. Pourquoi ne m’apportez-vous pas mon canif et pourquoi ne m’aimez-vous pas mieux ?
Juliette
BnF, Mss, NAF 16331, f. 219-220
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « jetté ».