Guernesey, 25 novembre 1855, dimanche matin, 11 h. ½
Comment, vilain monstre, vous avez eu le cœur d’aller tripailler ce matin chez le citoyena magnat [1] et vous n’avez pas eu seulement le courage de venir me donner une petite poignée d’amitié. Et vous voulez que je me trouve bien heureuse et que je me croie bien-aimée. Ah ! mais non ! Ah ! mais non ! Ah ! mais fichtre non ! non ! non ! non ! de NOM ! Je suis même sûre d’être très grognouse [2] toute la journée. J’ai beau me dire qu’il fait un temps de..... proscrit et que vous avez tenu à aller en gouttières directes chez le susdit hongrois, il ne m’en reste pas moins avéré que vous n’avez pas voulu vous détourner d’un ruisseau pour m’apporter une goutte de joie. Hélas ! Hélas ! Hélas ! AUTREFOIS, vous étiez le LÉANDRE des averses et des cataractes et vous auriez tout bravé pour venir retrouver votre Héro-Juju [3] au haut de sa tour d’Anastase [4]. Maintenant je ne suis pour vous que Zéro et vous ne mouilleriez pas le bout de votre nez pour me donner une larme de bonheur. Taisez-vous, mangez et bâfreza tripes et boyaux puisque c’est votre joli goût mais n’ayez pas le front de dire que vous m’aimez...
Interrompue par le citoyen Cayenne [5], je reprends mon gribouillis où je l’avais laissé et mon humeur aussi. Ne croyez pas que je vous en fasse grâce d’une ligne ni d’une grogne. Je veux vous en combler et vous en accabler, en attendant que je vous griffe et que je vous graffigne [6] en personne naturelle et surnaturelle.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16376, f. 372-373
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
a) « baffrez ».