Dimanche soir, 8 h. ½
C’est dans des moments comme celui-ci que je voudrais pouvoir ne pas t’écrire pour te cacher ma tristesse et mon découragement. Je n’ai pas de raison apparentea pour être plus triste et plus découragée qu’hier et que ce matin. Et cependant, entre l’état de mon cœur hier et celui où je suis à présent, il y a une révolution complète. Hier, j’étais heureuse et pleine de confiance en mon avenir. Aujourd’hui, je désespère de tout, même de ton amour. Car comment peux-tu m’aimer après cette intimité de pensée et de sensations que tu viens d’éprouver avec une autre femme que moi ? Je ne me leurre pas malheureusement. Je sais ce qu’il arrive de ces sortes d’admiration. Je sais que l’infidélité des sens suit de près celle de l’esprit. Je sais aussi que je suis déjà la plus triste des femmes et que je ne tarderai pas à en être la plus malheureuse.
Maintenant, crois-tu que je t’aime ?
Juliette
[Adresse]
À toi
BnF, Mss, NAF 16323, f. 36-37
Transcription de Jeanne Stranart et Véronique Cantos assistées de Florence Naugrette
a) « raisons apparentes ».