Jersey, 14 février 1855, mercredi matin, 10 h.
Ne sois pas triste, mon bien aimé, puisque la mort est une libération pour l’homme bon eta juste comme le fut ton pauvre frère [1]. Pense à tous ceux dont tu es le soutien, l’espérance et la vie, ta famille, les persécutés et moi. Ménage tes forces, ta santé et ton cœur pour défendre, pour combattre et pour m’aimer. Si tu savais combien ta tristesse pèse sur mon âme, tu la repousserais par PITIÉ pour moi. Cher, cher bien-aimé, tu ne sauras jamais combien je t’aime car je ne le sais pas moi-même. Tous les jours je découvre en mon cœur des mondes nouveaux dans mon amour, depuis ce que la tendresse a de plus doux et de plus inquiet jusqu’à ce que l’admiration a de plus passionné et de plus enthousiaste. Je t’aime avec les terreurs de la femme, avec le courage de l’homme, avec l’adoration d’un génie. Le sang de mes veines c’est toi, la chaleur de mon cœur c’est toi, les ailes de mon âme c’est toi. Hors de toi, je ne vis pas et rien n’existe pour moi. Aussi dès que tu souffres, je souffre mille fois plus que toi-même. Je te supplie mon Victor de nous ménager en te ménageant pour que le nœud de ma vie reste attaché le plus longtemps possible à ta propre vie
Juliette
BNF, Mss, NAF 16376, f. 70-71
Transcription de Magali Vaugier assistée de Guy Rosa
[Blewer]